Ãëàâíàÿ Ñëó÷àéíàÿ ñòðàíèöà Êîíòàêòû | Ìû ïîìîæåì â íàïèñàíèè âàøåé ðàáîòû! | ||
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Chaque fois que la chouette faisait des «S» et des «8»
parfaits, Sophie applaudissait et chaque fois, j’avais l’impression
de lui mentir un peu.
Luc avait sifflé entre ses dents, il me fit signe de regarder
vers la jetée. Nos quinze pensionnaires avaient pris place sur le
muret en pierre et admiraient les pirouettes aériennes de la
chouette.
Nous sommes rentrés à l’hôtel avec eux, l’heure du retour
approchait. Je profitai de ce que Luc et Sophie étaient montés
faire leurs sacs pour régler la note et le petit supplément pour le
ravitaillement de la cuisine dévalisée le matin même.
La patronne encaissa son dû sans broncher et me demanda
à voix basse si je pouvais lui obtenir la recette des galettes. Elle
l’avait réclamée à Luc, sans succès. Je promis d’essayer de lui
arracher son secret et de la lui poster.
Le vieux monsieur qui se tenait droit comme un piquet
dans la salle à manger pendant notre petit déjeuner, celui en qui
Luc avait vu l’incarnation de Marquès quand il aurait atteint cet
âge, vint vers moi.
― Tu t’es bien débrouillé sur la plage, mon garçon, me dit-
il.
Je le remerciai de son compliment.
― Je sais de quoi je parle, des cerfs-volants, j’en ai vendu
toute ma vie. Dans le temps, je tenais le bazar de la plage.
Qu’est-ce que tu as à me regarder comme ça, on dirait que tu as
vu un fantôme?
― Si je vous disais qu’il y a longtemps vous m’en avez offert
un, vous le croiriez?
― Je crois que ta demoiselle a besoin d’aide, me dit le vieux
monsieur en me désignant l’escalier.
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Sophie descendait les marches, portant son sac et le mien.
Je les lui ôtai des mains et allai les déposer dans le coffre de la
voiture. Luc s’installa au volant, Sophie à ses côtés.
― On y va? me dit-elle.
― Attendez-moi une minute, je reviens tout de suite.
Je me précipitai vers l’hôtel, le vieux monsieur avait
regagné son fauteuil dans le salon et regardait la télévision.
― La petite fille muette, vous vous souvenez d’elle?
Le klaxon de la voiture se fit entendre à trois reprises.
― J’ai l’impression que tes amis sont pressés. Revenez
nous voir un jour, nous serons tous heureux de vous accueillir,
surtout ton copain, ses galettes ce matin étaient exceptionnelles.
Le bruit du klaxon se fit continu et je m’en allai
à contrecœur, me faisant la promesse, pour la deuxième fois, de
revenir un jour dans cette petite station balnéaire.
*
**
Sophie fredonnait des mélodies sur lesquelles Luc plaquait
des paroles en chantant à tue-tête. Vingt fois il me reprocha de
ne pas me joindre à eux, vingt fois Sophie lui dit de me laisser
tranquille. Après quatre heures de route, Luc s’inquiéta du
brusque plongeon de la jauge d’essence, l’aiguille avait piqué
d’un coup sur la gauche.
― De deux choses l’une, annonça-t-il d’un ton grave, soit le
témoin du réservoir est mort, soit nous allons bientôt devoir
pousser.
Vingt kilomètres plus tard, le moteur toussota avant de
s’étouffer à quelques mètres de la pompe à essence. En sortant
de la voiture, Luc tapota sur le capot et félicita le break de sa
prouesse.
Je remplissais le réservoir, Luc était allé acheter de l’eau et
des biscuits, Sophie s’approcha et me prit par la taille.
― Tu es plutôt sexy en pompiste, me dit-elle.
Elle m’embrassa dans la nuque avant de rejoindre Luc
dans la boutique.
― Tu veux un café? me demanda-t-elle en se retournant.
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Et, avant que j’aie eu le temps de lui répondre, elle me
sourit et ajouta:
― Quand tu voudras me dire ce qui ne va pas, je serai là,
tout près de toi, même si tu ne t’en rends plus compte.
Nous rencontrâmes la pluie peu de temps après être
repartis. Les essuie-glaces peinaient à la chasser et leur
chuintement sur le pare-brise avait quelque chose de lancinant.
Nous arrivâmes en ville bien après la nuit tombée. Sophie
dormait profondément et Luc hésitait à la réveiller.
― Qu’est-ce qu’on fait? chuchota-t-il.
― Je ne sais pas; on se gare et on attend qu’elle se réveille.
― Ramenez-moi chez moi, au lieu de dire des bêtises,
murmura Sophie les yeux fermés.
Mais Luc ne l’entendait pas ainsi, il prit le chemin de notre
studio. Pas question, décréta-t-il, de céder à la sinistrose des
dimanches soir, et par temps de pluie il fallait redoubler de
vigilance. Nous allions tous les trois nous attaquer une fois pour
toutes à la morosité des fins de week-end. Il nous promettait de
préparer des pâtes comme nous n’en avions jamais mangé.
Sophie se redressa et se frotta le visage.
― Va pour les pâtes et après, vous me raccompagnez.
Nous avons dîné assis en tailleur sur le tapis. Luc s’est
endormi sur mon lit et Sophie et moi avons fini la nuit chez elle.
Lorsque je me suis réveillé, elle était déjà partie. J’ai trouvé
un petit mot dans la cuisine, posé contre un verre à côté d’un
couvert de petit déjeuner.
Merci de m’avoir emmenée voir la mer, merci pour ces
deux jours improvisés. Je voudrais savoir te mentir, te dire que
je suis heureuse et que tu me croies, mais je n’y arrive pas. Ce
qui me fait le plus mal c’est de te voir si seul quand tu es avec
moi. Je ne t’en veux pas, mais je n’ai rien fait pour mériter de
rester derrière la porte. Je te trouvais plus séduisant quand
nous étions amis. Je ne veux pas perdre mon meilleur ami, j ’ai
trop besoin de sa tendresse, de sa sincérité. Il faut que je te
retrouve tel que tu étais.
Plus tard, à la cafétéria, tu me raconteras tes journées, je
te raconterai les miennes et notre complicité renaîtra, là où
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nous l’avions abandonnée. Un peu plus tard... nous y
arriverons, tu verras.
En partant, laisse la clé sur la table.
Je t’embrasse,
Sophie.
J’ai replié le mot et l’ai mis dans ma poche. J’ai récupéré
dans sa commode les quelques affaires qui m’appartenaient,
sauf l’une de mes chemises sur laquelle elle avait épinglé une
petite note: «Pas celle-là, elle est à moi, maintenant.»
J’ai laissé la clé de son studio où elle me l’avait demandé et
je suis parti, persuadé d’être le dernier des imbéciles ou peut-
être le premier.
*
**
Le soir, j’ai tenté de joindre ma mère au téléphone, j’avais
besoin de lui parler, de me confier à elle, d’entendre sa voix. Le
téléphone a sonné dans le vide. Elle m’avait pourtant dit qu’elle
partait en voyage. J’avais oublié la date de son retour.
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Chapitre 10
Trois semaines s’étaient écoulées. Lorsque nous nous
croisions à l’hôpital, Sophie et moi ressentions une certaine
gêne, même si nous faisions comme si de rien n’était. Un fou
rire idiot fit renaître notre amitié. Nous nous trouvions dans le
jardin de l’hôpital, profitant tous deux d’un moment de répit,
Sophie me racontait une mésaventure arrivée à Luc. Deux
blessés avaient été amenés en même temps aux Urgences. Luc
faisait la course avec son brancard pour conduire le sien en
premier au bloc opératoire. Au détour d’un couloir, il avait dû
faire un brusque écart pour éviter l’infirmière en chef, et le
patient avait glissé de la civière. Luc s’était jeté à terre pour
amortir sa chute, opération réussie, mais le brancard lui avait
roulé sur la figure. Il avait hérité de trois points de suture au
front.
― Ton meilleur ami a été très courageux. Bien plus que toi
le jour où tu t’es ouvert le doigt avec un scalpel en salle de
dissection, avait-elle ajouté.
J’avais oublié cet épisode de notre première année
d’études.
Je compris enfin comment Luc s’était fait cette blessure
que j’avais constatée la veille. Il avait voulu me faire croire à une
histoire de portes battantes prises en pleine figure. Sophie me
fit jurer de ne pas lui révéler qu’elle avait vendu la mèche. Après
tout, puisque c’était elle qui l’avait recousu, il était de fait son
patient et elle était tenue au secret médical.
Je promis de ne pas la trahir. Sophie se leva, elle devait
reprendre son service, je la rappelai pour lui faire à mon tour
une confidence au sujet de Luc.
― Tu ne lui es pas insensible, tu sais?
― Je sais, me dit-elle en s’éloignant.
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Le soleil diffusait une douce chaleur, le temps de ma pose
n’était pas encore totalement passé, je décidai de m’attarder un
peu.
La petite fille à la marelle entra dans le jardin. Derrière les
vitres du couloir, ses parents s’entretenaient avec le chef du
service d’hématologie. La gamine avança vers moi, à sa façon de
faire un pas en avant, un pas de travers, je devinai qu’elle
cherchait à attirer mon attention. Quelque chose lui brûlait les
lèvres.
― Je suis guérie, me confia-t-elle fièrement.
Combien de fois avais-je vu cette petite fille jouer dans le
jardin de l’hôpital sans jamais me soucier du mal dont elle
souffrait?
― Je vais pouvoir rentrer chez moi.
― J’en suis très heureux pour toi, même si tu vas un peu
me manquer. J’avais pris l’habitude de te voir jouer dans ce
jardin.
― Et toi, tu vas bientôt pouvoir rentrer chez toi aussi?
Juste après m’avoir dit cela, la petite fille éclata de rire, un
rire au timbre de violoncelle.
Il est des petites choses que l’on laisse derrière soi, des
moments de vie ancrés dans la poussière du temps. On peut
tenter de les ignorer, mais ces petits riens mis bout à bout
forment une chaîne qui vous raccroche au passé.
Luc avait préparé à dîner. Il m’attendait, affalé dans le
fauteuil. En arrivant dans le studio, je me penchai sur sa
blessure.
― Ça va, arrête de jouer au toubib, je sais que tu sais, dit-il
en repoussant ma main. Alors vas-y, je te laisse cinq minutes
pour te moquer de moi et après on passe à autre chose.
― La voiture qu’on a prise pour partir en week-end, tu
m’aiderais à la louer?
― Tu vas où?
― Je voudrais retourner au bord de la mer.
― Tu as faim?
― Oui.
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― Tant mieux, parce que si tu veux que je te fasse quelque
chose à manger, tu vas me dire pourquoi tu veux retourner là-
bas. Si tu préfères jouer les grands mystérieux, la station-service
est encore ouverte. À cette heure-ci, avec un peu de chance, tu
trouveras un sandwich.
― Qu’est-ce que tu veux que je te dise?
― Ce qui t’est arrivé sur cette plage, parce que mon
meilleur ami me manque. Tu as toujours été un peu ailleurs.
J’en ai toujours pris mon parti, mais là, je t’assure, c’est plus
supportable. Tu avais la fille la plus formidable qui soit et tu as
été tellement crétin que, depuis ce fameux week-end, elle aussi
est ailleurs.
― Tu te souviens de ces vacances où ma mère m’avait
emmené au bord de la mer?
― Oui.
― Tu te souviens de Cléa?
― Je me souviens qu’à la rentrée tu me disais que
désormais tu te moquais bien d’Élisabeth, que tu avais
rencontré l’âme sœur, qu’elle serait un jour la femme de ta vie.
Mais nous étions des gosses, tu t’en souviens aussi? Tu crois
qu’elle t’a attendu dans cette station balnéaire? Reviens sur
terre, mon vieux. Tu t’es conduit comme un imbécile avec
Sophie.
― Ça doit t’arranger, non?
― Cette pique est supposée vouloir dire quelque chose?
― Je te demandais juste un tuyau pour louer une voiture.
― Tu la trouveras vendredi soir garée dans la rue, je te
laisserai les clés sur le bureau. Il y a un gratin dans le frigo, tu
n’as plus qu’à le réchauffer. Bonne nuit, je vais faire un tour.
La porte du studio se referma. Je m’approchai de la fenêtre
pour appeler Luc et m’excuser. J’eus beau crier son nom, il ne se
retourna pas et disparut au coin de la rue.
*
**
Je m’étais arrangé pour prendre ma garde le vendredi afin
d’être libéré dès les premières heures du samedi. Je rentrai chez
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moi au petit matin et trouvai les clés du break, comme Luc me
l’avait promis.
Le temps de me glisser sous la douche et de me changer, je
pris la route en fin de matinée. Je ne m’arrêtai que pour refaire
le plein. La jauge avait bel et bien rendu l’âme et je devais faire
des calculs de consommation moyenne afin d’estimer le
moment où il faudrait ravitailler la voiture en essence. Au
moins, cet exercice m’occupait. Depuis que j’étais parti, j’avais
la désagréable sensation de sentir les ombres de Luc et de
Sophie sur la banquette arrière.
J’arrivai devant la pension de famille en début d’après-
midi. La gérante fut étonnée de ma visite. Elle était désolée, la
chambre que nous occupions avait trouvé un nouveau locataire
et elle n’en avait aucune autre de libre. Je n’avais pas l’intention
de passer la nuit ici. Je lui expliquai être revenu le temps de
m’entretenir avec l’un de ses pensionnaires, un vieux monsieur
qui se tenait très droit et à qui je voulais poser une question.
― Vous avez fait toute cette route pour lui poser une
question! Vous savez que nous avons le téléphone? M. Morton
est resté debout toute sa vie derrière le comptoir de son bazar,
voilà pourquoi il se tient toujours si droit. Vous le trouverez
dans le salon, il y passe la plupart de ses après-midi, il ne sort
presque jamais.
Je remerciai la gérante, m’approchai de M. Morton et
m’assis devant lui.
― Bonjour, jeune homme, que puis-je faire pour vous?
― Vous ne vous souvenez pas de moi? Je suis venu il y a
quelque temps, en compagnie d’une jeune femme et de mon
meilleur ami.
― Ça ne me dit rien, quand cela, dites-vous?
― Il y a trois semaines, Luc vous avait cuisiné des galettes
pour le petit déjeuner, vous en aviez raffolé.
― J’aime beaucoup les galettes, enfin, j’aime toutes les
sucreries. Vous êtes qui, déjà?
― Souvenez-vous, je faisais voler un cerf-volant sur la
plage, vous m’avez dit que je me débrouillais plutôt bien.
― Des cerfs-volants, j’en vendais dans le temps, vous savez.
C’est moi qui tenais le bazar de la plage. Je vendais aussi des tas
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d’autres articles, des bouées, des cannes à pêche... y a rien à
pêcher par ici mais j’en vendais quand même, des crèmes
solaires aussi. J’en ai vu des baigneurs dans ma vie, de toutes
sortes... Bonjour, jeune homme, qu’est-ce que je peux faire pour
vous?
― Lorsque j’étais enfant, je suis venu passer une dizaine de
jours ici. Une petite fille jouait avec moi, je sais qu’elle venait
tous les étés, ce n’était pas une petite fille comme les autres, elle
était sourde et muette.
― Je vendais aussi des parasols et des cartes postales, on
m’en chapardait beaucoup trop alors j’ai arrêté les cartes
postales. Je m’en apercevais parce qu’à la fin de la semaine
j’avais toujours des timbres en trop. Ce sont les gosses qui me
les volaient... Bonjour, jeune homme, que puis-je faire pour
vous?
Je désespérais d’arriver à mes fins, quand une dame d’un
certain âge s’approcha.
― Vous n’en tirerez rien aujourd’hui, ce n’est pas un bon
jour pour lui. Hier il était plus lucide, ça va ça vient, il n’a plus
toute sa tête. La petite fille, je sais de qui il s’agit, j’ai toute ma
mémoire, moi. C’est de la petite Cléa que vous parlez, je la
connaissais bien, mais vous savez, elle n’était pas sourde.
Et, devant mon air ahuri, la dame continua.
― Je vous raconterais bien tout ça mais j’ai faim et je
n’arrive pas à parler l’estomac vide. Si vous m’emmeniez
prendre un thé à la pâtisserie, nous pourrions discuter. Voulez-
vous que j’aille chercher ma gabardine?
J’aidai la vieille dame à mettre son manteau et nous
marchâmes à son pas jusqu’à la pâtisserie. Elle s’installa en
terrasse et me demanda une cigarette. Je n’en avais pas. Elle
croisa les bras et regarda fixement le bureau de tabac sur le
trottoir d’en face.
― Des blondes feront l’affaire, me dit-elle.
Je revins avec un paquet et des allumettes.
― Je serai médecin à la fin de l’année, lui dis-je en les lui
remettant. Si mes professeurs me voyaient vous donner ça, j’en
prendrais pour mon grade.
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― Si vos professeurs perdaient leur temps à surveiller ce
que nous faisons dans ce trou perdu, je vous recommanderais
vivement de changer d’école, répondit-elle en faisant craquer
une allumette. Quant au temps, pour ce qui m’en reste, je me
demande bien pourquoi on fait tout pour nous emmerder.
Interdit de boire, interdit de fumer, interdit de manger trop gras
ou trop sucré, à force de vouloir nous faire vivre plus longtemps,
c’est le goût de vivre qu’ils vont nous enlever, tous ces savants
qui pensent à notre place. Qu’est-ce qu’on était libre quand
j’avais votre âge, libre de se tuer plus vite certes, mais de vivre
aussi. Alors je vais profiter de votre charmante compagnie pour
défier la médecine, et si vous n’y voyez pas trop d’inconvénients
je ne serais pas contre un bon baba au rhum.
Je commandai un baba au rhum, un éclair au café et deux
chocolats chauds.
― Ah la petite Cléa, tu parles si je m’en souviens. Je tenais
la librairie à l’époque. Vous voyez, les commerçants, c’est
comme ça que ça finit. On sert les gens pendant des années et le
jour de la retraite plus personne ne vient vous voir. J’en ai
donné des bonjours, des mercis, des au revoir. Depuis deux ans
que j’ai lâché mon comptoir, pas une seule visite. Dans un bled
de cette taille... Vous croyez qu’ils pensent que je suis partie sur
la lune? La petite Cléa, elle était bien gentille. J’en ai vu aussi
des gosses mal élevés; remarquez, les enfants mal élevés ne le
sont jamais autant que leurs parents. Elle, j’aurais pu lui
pardonner de ne pas dire merci, au moins elle avait une bonne
excuse, eh bien figurez-vous qu’elle l’écrivait. Elle venait
souvent à la librairie, elle regardait les livres, en choisissait un et
s’asseyait dans un coin pour le lire. Mon mari l’aimait bien cette
petite, il lui mettait des livres de côté, rien que pour elle. Quand
elle repartait, elle sortait un petit papier de sa poche où elle
avait griffonné un «Merci madame, merci monsieur».
Incroyable, d’imaginer qu’elle n’était ni vraiment sourde ni
muette. Eh oui, la petite Cléa était atteinte d’une forme
d’autisme, c’est dans sa tête que ça bloquait. Elle entendait tout,
seulement les mots ne voulaient pas sortir, et savez-vous ce qui
l’a libérée de sa prison? La musique, figurez-vous. C’est une
histoire belle et triste à la fois.
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«Vous vous demandez si je n’ai pas inventé tout ça pour
que vous m’offriez un paquet de cigarettes et un baba au rhum?
Rassurez-vous, je n’en suis pas là, tout du moins pas encore.
Dans quelques années peut-être, mais si cela devait arriver
j’aimerais mieux que Dieu m’ait ôté la vie avant. Je ne veux pas
devenir comme le marchand du bazar. Oh lui, ce n’est pas sa
faute, moi aussi j’aurais perdu la tête à sa place. Quand vous
avez trimé toute votre vie pour élever vos enfants et qu’aucun
d’eux ne vient jamais vous voir ou ne trouve le temps de vous
appeler, il y a de quoi vous rendre fou, de quoi vouloir effacer
tous les souvenirs de votre mémoire. Mais c’est la petite Cléa qui
vous préoccupe, pas le marchand du bazar. Tout à l’heure, je
vous parlais de l’ingratitude des clients, de ces gens qu’on a
servis toute une vie et qui font semblant de ne pas vous
Äàòà ïóáëèêîâàíèÿ: 2014-11-19; Ïðî÷èòàíî: 178 | Íàðóøåíèå àâòîðñêîãî ïðàâà ñòðàíèöû | Ìû ïîìîæåì â íàïèñàíèè âàøåé ðàáîòû!