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Jack London. Love Of Live. Stories 15 ñòðàíèöà



Chaque fois que la chouette faisait des «S» et des «8»

parfaits, Sophie applaudissait et chaque fois, j’avais l’impression

de lui mentir un peu.

Luc avait sifflé entre ses dents, il me fit signe de regarder

vers la jetée. Nos quinze pensionnaires avaient pris place sur le

muret en pierre et admiraient les pirouettes aériennes de la

chouette.

Nous sommes rentrés à l’hôtel avec eux, l’heure du retour

approchait. Je profitai de ce que Luc et Sophie étaient montés

faire leurs sacs pour régler la note et le petit supplément pour le

ravitaillement de la cuisine dévalisée le matin même.

La patronne encaissa son dû sans broncher et me demanda

à voix basse si je pouvais lui obtenir la recette des galettes. Elle

l’avait réclamée à Luc, sans succès. Je promis d’essayer de lui

arracher son secret et de la lui poster.

Le vieux monsieur qui se tenait droit comme un piquet

dans la salle à manger pendant notre petit déjeuner, celui en qui

Luc avait vu l’incarnation de Marquès quand il aurait atteint cet

âge, vint vers moi.

― Tu t’es bien débrouillé sur la plage, mon garçon, me dit-

il.

Je le remerciai de son compliment.

― Je sais de quoi je parle, des cerfs-volants, j’en ai vendu

toute ma vie. Dans le temps, je tenais le bazar de la plage.

Qu’est-ce que tu as à me regarder comme ça, on dirait que tu as

vu un fantôme?

― Si je vous disais qu’il y a longtemps vous m’en avez offert

un, vous le croiriez?

― Je crois que ta demoiselle a besoin d’aide, me dit le vieux

monsieur en me désignant l’escalier.

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Sophie descendait les marches, portant son sac et le mien.

Je les lui ôtai des mains et allai les déposer dans le coffre de la

voiture. Luc s’installa au volant, Sophie à ses côtés.

― On y va? me dit-elle.

― Attendez-moi une minute, je reviens tout de suite.

Je me précipitai vers l’hôtel, le vieux monsieur avait

regagné son fauteuil dans le salon et regardait la télévision.

― La petite fille muette, vous vous souvenez d’elle?

Le klaxon de la voiture se fit entendre à trois reprises.

― J’ai l’impression que tes amis sont pressés. Revenez

nous voir un jour, nous serons tous heureux de vous accueillir,

surtout ton copain, ses galettes ce matin étaient exceptionnelles.

Le bruit du klaxon se fit continu et je m’en allai

à contrecœur, me faisant la promesse, pour la deuxième fois, de

revenir un jour dans cette petite station balnéaire.

*

**

Sophie fredonnait des mélodies sur lesquelles Luc plaquait

des paroles en chantant à tue-tête. Vingt fois il me reprocha de

ne pas me joindre à eux, vingt fois Sophie lui dit de me laisser

tranquille. Après quatre heures de route, Luc s’inquiéta du

brusque plongeon de la jauge d’essence, l’aiguille avait piqué

d’un coup sur la gauche.

― De deux choses l’une, annonça-t-il d’un ton grave, soit le

témoin du réservoir est mort, soit nous allons bientôt devoir

pousser.

Vingt kilomètres plus tard, le moteur toussota avant de

s’étouffer à quelques mètres de la pompe à essence. En sortant

de la voiture, Luc tapota sur le capot et félicita le break de sa

prouesse.

Je remplissais le réservoir, Luc était allé acheter de l’eau et

des biscuits, Sophie s’approcha et me prit par la taille.

― Tu es plutôt sexy en pompiste, me dit-elle.

Elle m’embrassa dans la nuque avant de rejoindre Luc

dans la boutique.

― Tu veux un café? me demanda-t-elle en se retournant.

- 142 -

Et, avant que j’aie eu le temps de lui répondre, elle me

sourit et ajouta:

― Quand tu voudras me dire ce qui ne va pas, je serai là,

tout près de toi, même si tu ne t’en rends plus compte.

Nous rencontrâmes la pluie peu de temps après être

repartis. Les essuie-glaces peinaient à la chasser et leur

chuintement sur le pare-brise avait quelque chose de lancinant.

Nous arrivâmes en ville bien après la nuit tombée. Sophie

dormait profondément et Luc hésitait à la réveiller.

― Qu’est-ce qu’on fait? chuchota-t-il.

― Je ne sais pas; on se gare et on attend qu’elle se réveille.

― Ramenez-moi chez moi, au lieu de dire des bêtises,

murmura Sophie les yeux fermés.

Mais Luc ne l’entendait pas ainsi, il prit le chemin de notre

studio. Pas question, décréta-t-il, de céder à la sinistrose des

dimanches soir, et par temps de pluie il fallait redoubler de

vigilance. Nous allions tous les trois nous attaquer une fois pour

toutes à la morosité des fins de week-end. Il nous promettait de

préparer des pâtes comme nous n’en avions jamais mangé.

Sophie se redressa et se frotta le visage.

― Va pour les pâtes et après, vous me raccompagnez.

Nous avons dîné assis en tailleur sur le tapis. Luc s’est

endormi sur mon lit et Sophie et moi avons fini la nuit chez elle.

Lorsque je me suis réveillé, elle était déjà partie. J’ai trouvé

un petit mot dans la cuisine, posé contre un verre à côté d’un

couvert de petit déjeuner.

Merci de m’avoir emmenée voir la mer, merci pour ces

deux jours improvisés. Je voudrais savoir te mentir, te dire que

je suis heureuse et que tu me croies, mais je n’y arrive pas. Ce

qui me fait le plus mal c’est de te voir si seul quand tu es avec

moi. Je ne t’en veux pas, mais je n’ai rien fait pour mériter de

rester derrière la porte. Je te trouvais plus séduisant quand

nous étions amis. Je ne veux pas perdre mon meilleur ami, j ’ai

trop besoin de sa tendresse, de sa sincérité. Il faut que je te

retrouve tel que tu étais.

Plus tard, à la cafétéria, tu me raconteras tes journées, je

te raconterai les miennes et notre complicité renaîtra, là où

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nous l’avions abandonnée. Un peu plus tard... nous y

arriverons, tu verras.

En partant, laisse la clé sur la table.

Je t’embrasse,

Sophie.

J’ai replié le mot et l’ai mis dans ma poche. J’ai récupéré

dans sa commode les quelques affaires qui m’appartenaient,

sauf l’une de mes chemises sur laquelle elle avait épinglé une

petite note: «Pas celle-là, elle est à moi, maintenant.»

J’ai laissé la clé de son studio où elle me l’avait demandé et

je suis parti, persuadé d’être le dernier des imbéciles ou peut-

être le premier.

*

**

Le soir, j’ai tenté de joindre ma mère au téléphone, j’avais

besoin de lui parler, de me confier à elle, d’entendre sa voix. Le

téléphone a sonné dans le vide. Elle m’avait pourtant dit qu’elle

partait en voyage. J’avais oublié la date de son retour.

- 144 -

Chapitre 10

Trois semaines s’étaient écoulées. Lorsque nous nous

croisions à l’hôpital, Sophie et moi ressentions une certaine

gêne, même si nous faisions comme si de rien n’était. Un fou

rire idiot fit renaître notre amitié. Nous nous trouvions dans le

jardin de l’hôpital, profitant tous deux d’un moment de répit,

Sophie me racontait une mésaventure arrivée à Luc. Deux

blessés avaient été amenés en même temps aux Urgences. Luc

faisait la course avec son brancard pour conduire le sien en

premier au bloc opératoire. Au détour d’un couloir, il avait dû

faire un brusque écart pour éviter l’infirmière en chef, et le

patient avait glissé de la civière. Luc s’était jeté à terre pour

amortir sa chute, opération réussie, mais le brancard lui avait

roulé sur la figure. Il avait hérité de trois points de suture au

front.

― Ton meilleur ami a été très courageux. Bien plus que toi

le jour où tu t’es ouvert le doigt avec un scalpel en salle de

dissection, avait-elle ajouté.

J’avais oublié cet épisode de notre première année

d’études.

Je compris enfin comment Luc s’était fait cette blessure

que j’avais constatée la veille. Il avait voulu me faire croire à une

histoire de portes battantes prises en pleine figure. Sophie me

fit jurer de ne pas lui révéler qu’elle avait vendu la mèche. Après

tout, puisque c’était elle qui l’avait recousu, il était de fait son

patient et elle était tenue au secret médical.

Je promis de ne pas la trahir. Sophie se leva, elle devait

reprendre son service, je la rappelai pour lui faire à mon tour

une confidence au sujet de Luc.

― Tu ne lui es pas insensible, tu sais?

― Je sais, me dit-elle en s’éloignant.

- 145 -

Le soleil diffusait une douce chaleur, le temps de ma pose

n’était pas encore totalement passé, je décidai de m’attarder un

peu.

La petite fille à la marelle entra dans le jardin. Derrière les

vitres du couloir, ses parents s’entretenaient avec le chef du

service d’hématologie. La gamine avança vers moi, à sa façon de

faire un pas en avant, un pas de travers, je devinai qu’elle

cherchait à attirer mon attention. Quelque chose lui brûlait les

lèvres.

― Je suis guérie, me confia-t-elle fièrement.

Combien de fois avais-je vu cette petite fille jouer dans le

jardin de l’hôpital sans jamais me soucier du mal dont elle

souffrait?

― Je vais pouvoir rentrer chez moi.

― J’en suis très heureux pour toi, même si tu vas un peu

me manquer. J’avais pris l’habitude de te voir jouer dans ce

jardin.

― Et toi, tu vas bientôt pouvoir rentrer chez toi aussi?

Juste après m’avoir dit cela, la petite fille éclata de rire, un

rire au timbre de violoncelle.

Il est des petites choses que l’on laisse derrière soi, des

moments de vie ancrés dans la poussière du temps. On peut

tenter de les ignorer, mais ces petits riens mis bout à bout

forment une chaîne qui vous raccroche au passé.

Luc avait préparé à dîner. Il m’attendait, affalé dans le

fauteuil. En arrivant dans le studio, je me penchai sur sa

blessure.

― Ça va, arrête de jouer au toubib, je sais que tu sais, dit-il

en repoussant ma main. Alors vas-y, je te laisse cinq minutes

pour te moquer de moi et après on passe à autre chose.

― La voiture qu’on a prise pour partir en week-end, tu

m’aiderais à la louer?

― Tu vas où?

― Je voudrais retourner au bord de la mer.

― Tu as faim?

― Oui.

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― Tant mieux, parce que si tu veux que je te fasse quelque

chose à manger, tu vas me dire pourquoi tu veux retourner là-

bas. Si tu préfères jouer les grands mystérieux, la station-service

est encore ouverte. À cette heure-ci, avec un peu de chance, tu

trouveras un sandwich.

― Qu’est-ce que tu veux que je te dise?

― Ce qui t’est arrivé sur cette plage, parce que mon

meilleur ami me manque. Tu as toujours été un peu ailleurs.

J’en ai toujours pris mon parti, mais là, je t’assure, c’est plus

supportable. Tu avais la fille la plus formidable qui soit et tu as

été tellement crétin que, depuis ce fameux week-end, elle aussi

est ailleurs.

― Tu te souviens de ces vacances où ma mère m’avait

emmené au bord de la mer?

― Oui.

― Tu te souviens de Cléa?

― Je me souviens qu’à la rentrée tu me disais que

désormais tu te moquais bien d’Élisabeth, que tu avais

rencontré l’âme sœur, qu’elle serait un jour la femme de ta vie.

Mais nous étions des gosses, tu t’en souviens aussi? Tu crois

qu’elle t’a attendu dans cette station balnéaire? Reviens sur

terre, mon vieux. Tu t’es conduit comme un imbécile avec

Sophie.

― Ça doit t’arranger, non?

― Cette pique est supposée vouloir dire quelque chose?

― Je te demandais juste un tuyau pour louer une voiture.

― Tu la trouveras vendredi soir garée dans la rue, je te

laisserai les clés sur le bureau. Il y a un gratin dans le frigo, tu

n’as plus qu’à le réchauffer. Bonne nuit, je vais faire un tour.

La porte du studio se referma. Je m’approchai de la fenêtre

pour appeler Luc et m’excuser. J’eus beau crier son nom, il ne se

retourna pas et disparut au coin de la rue.

*

**

Je m’étais arrangé pour prendre ma garde le vendredi afin

d’être libéré dès les premières heures du samedi. Je rentrai chez

- 147 -

moi au petit matin et trouvai les clés du break, comme Luc me

l’avait promis.

Le temps de me glisser sous la douche et de me changer, je

pris la route en fin de matinée. Je ne m’arrêtai que pour refaire

le plein. La jauge avait bel et bien rendu l’âme et je devais faire

des calculs de consommation moyenne afin d’estimer le

moment où il faudrait ravitailler la voiture en essence. Au

moins, cet exercice m’occupait. Depuis que j’étais parti, j’avais

la désagréable sensation de sentir les ombres de Luc et de

Sophie sur la banquette arrière.

J’arrivai devant la pension de famille en début d’après-

midi. La gérante fut étonnée de ma visite. Elle était désolée, la

chambre que nous occupions avait trouvé un nouveau locataire

et elle n’en avait aucune autre de libre. Je n’avais pas l’intention

de passer la nuit ici. Je lui expliquai être revenu le temps de

m’entretenir avec l’un de ses pensionnaires, un vieux monsieur

qui se tenait très droit et à qui je voulais poser une question.

― Vous avez fait toute cette route pour lui poser une

question! Vous savez que nous avons le téléphone? M. Morton

est resté debout toute sa vie derrière le comptoir de son bazar,

voilà pourquoi il se tient toujours si droit. Vous le trouverez

dans le salon, il y passe la plupart de ses après-midi, il ne sort

presque jamais.

Je remerciai la gérante, m’approchai de M. Morton et

m’assis devant lui.

― Bonjour, jeune homme, que puis-je faire pour vous?

― Vous ne vous souvenez pas de moi? Je suis venu il y a

quelque temps, en compagnie d’une jeune femme et de mon

meilleur ami.

― Ça ne me dit rien, quand cela, dites-vous?

― Il y a trois semaines, Luc vous avait cuisiné des galettes

pour le petit déjeuner, vous en aviez raffolé.

― J’aime beaucoup les galettes, enfin, j’aime toutes les

sucreries. Vous êtes qui, déjà?

― Souvenez-vous, je faisais voler un cerf-volant sur la

plage, vous m’avez dit que je me débrouillais plutôt bien.

― Des cerfs-volants, j’en vendais dans le temps, vous savez.

C’est moi qui tenais le bazar de la plage. Je vendais aussi des tas

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d’autres articles, des bouées, des cannes à pêche... y a rien à

pêcher par ici mais j’en vendais quand même, des crèmes

solaires aussi. J’en ai vu des baigneurs dans ma vie, de toutes

sortes... Bonjour, jeune homme, qu’est-ce que je peux faire pour

vous?

― Lorsque j’étais enfant, je suis venu passer une dizaine de

jours ici. Une petite fille jouait avec moi, je sais qu’elle venait

tous les étés, ce n’était pas une petite fille comme les autres, elle

était sourde et muette.

― Je vendais aussi des parasols et des cartes postales, on

m’en chapardait beaucoup trop alors j’ai arrêté les cartes

postales. Je m’en apercevais parce qu’à la fin de la semaine

j’avais toujours des timbres en trop. Ce sont les gosses qui me

les volaient... Bonjour, jeune homme, que puis-je faire pour

vous?

Je désespérais d’arriver à mes fins, quand une dame d’un

certain âge s’approcha.

― Vous n’en tirerez rien aujourd’hui, ce n’est pas un bon

jour pour lui. Hier il était plus lucide, ça va ça vient, il n’a plus

toute sa tête. La petite fille, je sais de qui il s’agit, j’ai toute ma

mémoire, moi. C’est de la petite Cléa que vous parlez, je la

connaissais bien, mais vous savez, elle n’était pas sourde.

Et, devant mon air ahuri, la dame continua.

― Je vous raconterais bien tout ça mais j’ai faim et je

n’arrive pas à parler l’estomac vide. Si vous m’emmeniez

prendre un thé à la pâtisserie, nous pourrions discuter. Voulez-

vous que j’aille chercher ma gabardine?

J’aidai la vieille dame à mettre son manteau et nous

marchâmes à son pas jusqu’à la pâtisserie. Elle s’installa en

terrasse et me demanda une cigarette. Je n’en avais pas. Elle

croisa les bras et regarda fixement le bureau de tabac sur le

trottoir d’en face.

― Des blondes feront l’affaire, me dit-elle.

Je revins avec un paquet et des allumettes.

― Je serai médecin à la fin de l’année, lui dis-je en les lui

remettant. Si mes professeurs me voyaient vous donner ça, j’en

prendrais pour mon grade.

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― Si vos professeurs perdaient leur temps à surveiller ce

que nous faisons dans ce trou perdu, je vous recommanderais

vivement de changer d’école, répondit-elle en faisant craquer

une allumette. Quant au temps, pour ce qui m’en reste, je me

demande bien pourquoi on fait tout pour nous emmerder.

Interdit de boire, interdit de fumer, interdit de manger trop gras

ou trop sucré, à force de vouloir nous faire vivre plus longtemps,

c’est le goût de vivre qu’ils vont nous enlever, tous ces savants

qui pensent à notre place. Qu’est-ce qu’on était libre quand

j’avais votre âge, libre de se tuer plus vite certes, mais de vivre

aussi. Alors je vais profiter de votre charmante compagnie pour

défier la médecine, et si vous n’y voyez pas trop d’inconvénients

je ne serais pas contre un bon baba au rhum.

Je commandai un baba au rhum, un éclair au café et deux

chocolats chauds.

― Ah la petite Cléa, tu parles si je m’en souviens. Je tenais

la librairie à l’époque. Vous voyez, les commerçants, c’est

comme ça que ça finit. On sert les gens pendant des années et le

jour de la retraite plus personne ne vient vous voir. J’en ai

donné des bonjours, des mercis, des au revoir. Depuis deux ans

que j’ai lâché mon comptoir, pas une seule visite. Dans un bled

de cette taille... Vous croyez qu’ils pensent que je suis partie sur

la lune? La petite Cléa, elle était bien gentille. J’en ai vu aussi

des gosses mal élevés; remarquez, les enfants mal élevés ne le

sont jamais autant que leurs parents. Elle, j’aurais pu lui

pardonner de ne pas dire merci, au moins elle avait une bonne

excuse, eh bien figurez-vous qu’elle l’écrivait. Elle venait

souvent à la librairie, elle regardait les livres, en choisissait un et

s’asseyait dans un coin pour le lire. Mon mari l’aimait bien cette

petite, il lui mettait des livres de côté, rien que pour elle. Quand

elle repartait, elle sortait un petit papier de sa poche où elle

avait griffonné un «Merci madame, merci monsieur».

Incroyable, d’imaginer qu’elle n’était ni vraiment sourde ni

muette. Eh oui, la petite Cléa était atteinte d’une forme

d’autisme, c’est dans sa tête que ça bloquait. Elle entendait tout,

seulement les mots ne voulaient pas sortir, et savez-vous ce qui

l’a libérée de sa prison? La musique, figurez-vous. C’est une

histoire belle et triste à la fois.

- 150 -

«Vous vous demandez si je n’ai pas inventé tout ça pour

que vous m’offriez un paquet de cigarettes et un baba au rhum?

Rassurez-vous, je n’en suis pas là, tout du moins pas encore.

Dans quelques années peut-être, mais si cela devait arriver

j’aimerais mieux que Dieu m’ait ôté la vie avant. Je ne veux pas

devenir comme le marchand du bazar. Oh lui, ce n’est pas sa

faute, moi aussi j’aurais perdu la tête à sa place. Quand vous

avez trimé toute votre vie pour élever vos enfants et qu’aucun

d’eux ne vient jamais vous voir ou ne trouve le temps de vous

appeler, il y a de quoi vous rendre fou, de quoi vouloir effacer

tous les souvenirs de votre mémoire. Mais c’est la petite Cléa qui

vous préoccupe, pas le marchand du bazar. Tout à l’heure, je

vous parlais de l’ingratitude des clients, de ces gens qu’on a

servis toute une vie et qui font semblant de ne pas vous





Äàòà ïóáëèêîâàíèÿ: 2014-11-19; Ïðî÷èòàíî: 178 | Íàðóøåíèå àâòîðñêîãî ïðàâà ñòðàíèöû | Ìû ïîìîæåì â íàïèñàíèè âàøåé ðàáîòû!



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