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Ãëàâíàÿ Ñëó÷àéíàÿ ñòðàíèöà Êîíòàêòû | Ìû ïîìîæåì â íàïèñàíèè âàøåé ðàáîòû! | |
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pleine forme, avec quelques kilos de plus.
À l’automne, maman vint me voir. Elle me remit une petite
valise pleine de chemises neuves, s’excusant de ne pas monter
dans mon studio pour y remettre de l’ordre. Les escaliers la
fatiguaient, ses genoux la faisaient de plus en plus souffrir. Alors
que nous nous promenions sur les berges, je m’inquiétai de la
voir s’essouffler. Elle posa sa main sur ma joue et me dit en
souriant qu’il fallait que j’accepte l’idée de la voir vieillir.
― Ça t’arrivera aussi un jour, me dit-elle alors que nous
terminions de dîner dans son restaurant favori. En attendant,
profite de ta jeunesse, si tu savais à quelle vitesse elle fichera le
camp.
Et, une fois de plus, elle s’empara de l’addition avant que je
n’aie eu le temps de la saisir.
Alors que nous marchions vers son hôtel, elle me parla de
la maison. Repeindre chaque pièce occupait ses journées, même
si l’énergie qu’elle y dépensait l’épuisait un peu trop à son goût.
Elle me confia avoir remis de l’ordre dans le grenier et m’y avoir
laissé une boîte qu’elle avait retrouvée. À ma prochaine visite, il
faudrait que j’y monte. Je tentai d’en savoir plus mais ma mère
resta mystérieuse sur le sujet.
― Tu verras bien le jour où tu viendras, me dit-elle en
m’embrassant devant son hôtel.
Le lendemain de ce dîner, je la raccompagnai à la gare. Elle
avait eu sa dose de grande ville et préférait écourter son séjour.
*
**
- 162 -
En amitié, certaines choses ne se disent pas, elles se
devinent. Luc et Sophie passaient de plus en plus de temps
ensemble. Luc trouvait toujours un prétexte pour l’inviter à
nous rejoindre. C’était un peu comme lorsque Élisabeth se
rapprochait de Marquès en glissant discrètement de semaine en
semaine vers le fond de la classe, à ceci près que, cette fois, je
m’en rendais compte. En dehors de ces quelques soirées où il
nous faisait la cuisine, je voyais Luc de moins en moins. Mon
internat m’accaparait et ses horaires de brancardier ne cessaient
de s’allonger pour lui permettre de payer ses études.
Il nous arrivait de nous laisser un mot sur le bureau de la
chambre à coucher, souhaitant une bonne journée à l’un ou une
bonne nuit à l’autre. Luc rendait souvent visite à notre voisine
du dessus. Un jour, il avait entendu un bruit sourd et, redoutant
qu’elle soit tombée, il s’était précipité à l’étage supérieur. Alice
se portait comme un charme, elle faisait juste un grand ménage,
se délestant de tout ce qui appartenait à son passé. Elle envoyait
valdinguer à travers la pièce des albums de photos, quantité de
dossiers, des souvenirs en tout genre glanés au long d’une
existence qu’elle balayait furieusement.
― Je n’emporterai rien de tout ça dans la tombe, avait-elle
clamé à Luc, la mine réjouie en lui ouvrant la porte.
Amusé par le désordre qui régnait, Luc avait consacré son
après-midi entier à aider notre voisine. Elle remplissait des sacs
en plastique et Luc descendait les jeter dans les poubelles de
l’immeuble.
― Je ne vais tout de même pas donner la satisfaction à mes
enfants de commencer à m’aimer quand je serai morte! Ils
n’avaient qu’à le faire avant!
De cette journée insolite était née entre eux une certaine
complicité. Chaque fois que je croisais notre voisine dans
l’escalier, je la saluais et elle me répondait de saluer Luc. Luc
était conquis par son caractère bien trempé et il lui arrivait de
m’abandonner pour aller passer le début de sa soirée avec elle.
*
**
- 163 -
Noël approchait. J’avais bien essayé d’obtenir quelques
jours de congés pour aller rendre visite à ma mère, mais mon
chef de service me les avait refusés.
― Dans le mot interne, quelque chose vous échappe?
m’avait-il répondu alors que je lui faisais ma demande. Lorsque
vous serez titularisé, vous pourrez rentrer chez vous pendant les
fêtes et, comme moi, vous nommerez des internes pour vous
suppléer. Patience et persévérance, avait-il ajouté d’un ton à
mériter des baffes, vous n’avez plus que quelques années à
trimer avant de pouvoir déguster à votre tour de la dinde en
famille.
J’avais prévenu maman, qui m’avait aussitôt excusé. Qui
mieux qu’elle pouvait comprendre les contraintes de l’internat.
A fortiori quand votre chef de clinique est aussi imbu de lui-
même qu’arrogant. Comme à chacune de mes colères, ma mère
avait trouvé les mots pour m’apaiser.
― Tu te souviens de ce que tu m’avais dit un jour parce que
j’étais si triste de n’avoir pu assister à ta remise de prix de fin
d’année?
― Qu’il y aurait une autre cérémonie l’année suivante,
répondis-je dans le combiné.
― Il y aura sans nul doute un autre Noël l’année prochaine,
mon chéri, et si ton chef est toujours aussi buté, ne t’inquiète
pas, nous fêterons Noël en janvier.
À quelques jours des fêtes, Luc préparait sa valise, il y
rangeait plus d’affaires qu’à l’accoutumée. Dès que j’avais le dos
tourné, il empilait dans son sac pulls, chemises et pantalons, y
compris ceux qui n’étaient pas de saison. Je finis par remarquer
son manège et son petit air gêné.
― Tu vas où?
― Je rentre chez moi.
― Et tu as besoin de ce déménagement pour seulement
quelques jours de vacances?
Luc se laissa tomber dans le fauteuil.
― Quelque chose manque à ma vie, me dit-il.
― Qu’est-ce qui te manque?
― Ma vie!
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Il croisa les mains et me regarda fixement avant de
poursuivre.
― Je ne suis pas heureux ici, mon vieux. Je croyais qu’en
devenant médecin je changerais de condition, que mes parents
seraient fiers de moi. Le fils du boulanger qui devient docteur,
tu vois la belle histoire! Seulement voilà, même si je réussissais
un jour à être le plus grand des chirurgiens, je n’arriverais
jamais à la cheville de mon père. Papa ne fait peut-être que du
pain, mais si tu voyais comme ils sont heureux, ceux qui
viennent à la boulangerie aux premières heures du matin. Tu te
souviens des petits vieux dans cet hôtel de bord de mer où
j’avais cuisiné des galettes? Lui, c’est tous les jours qu’il
reproduit ce prodige. C’est un homme modeste et discret, il ne
dit pas grand-chose mais ses yeux parlent à sa place. Quand je
travaillais avec lui au fournil, nous restions parfois silencieux
toute la nuit et pourtant, en pétrissant la farine, côte à côte, on
partageait tant de choses. C’est à lui que je veux ressembler. Ce
métier qu’il a voulu m’apprendre, c’est celui que je veux faire. Je
me suis dit qu’un jour, j’aurais peut-être moi aussi des enfants,
je sais que si je suis aussi bon boulanger que mon père, ils
pourront être fiers de moi, comme je suis fier de lui. Ne m’en
veux pas, mais après Noël, je ne rentrerai pas, j’arrête la
médecine. Attends, ne dis rien, je n’ai pas fini, je sais que tu y
étais pour quelque chose, que tu avais parlé à mon père. Ce n’est
pas lui qui me l’a avoué, mais ma mère. Chaque jour que j’ai
passé ici, même quand tu m’emmerdais sérieusement, je t’ai
remercié en mon for intérieur de m’avoir donné cette chance
d’étudier à la faculté; grâce à toi, je sais maintenant ce que je ne
veux pas faire. Quand tu reviendras au village, je te préparerai
des pains au chocolat et des éclairs au café et nous les
partagerons comme avant, comme dans le temps. Non, mieux
que cela, nous les dégusterons comme demain. Alors ne crois
pas que ce soit un adieu, c’est juste un au revoir, mon vieux.
Luc m’a pris dans ses bras. Je crois qu’il pleurait un peu, et
je crois que moi aussi. C’est idiot, deux hommes qui sanglotent
dans les bras l’un de l’autre. Peut-être pas, finalement, quand ce
sont deux amis qui s’aiment comme des frères.
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Avant de partir, Luc avait une dernière confidence. Je
l’avais aidé à charger le vieux break, il s’était installé au volant et
avait refermé sa portière. Puis il avait baissé la vitre pour me
dire d’un ton solennel:
― Tu sais, ça m’embête de te demander ça, mais
maintenant que les choses sont claires entre Sophie et toi, enfin,
je veux dire maintenant qu’elle est sûre que vous n’êtes que des
amis, ça t’ennuierait que je la rappelle de temps en temps?
Parce que tu ne t’en es peut-être pas rendu compte, mais au
cours de ce fameux week-end au bord de la mer, pendant que tu
jouais au gardien de phare et au cerf-volant, on a beaucoup
discuté tous les deux. Je peux me tromper, bien sûr, mais j’ai eu
l’impression que le courant passait, une sorte d’affinité si tu vois
ce que je veux dire. Donc si ça ne te dérange pas, je reviendrais
bien te rendre visite et j’en profiterais pour l’inviter à dîner.
― Parmi toutes les filles célibataires au monde, il fallait
que tu t’entiches de Sophie?
― J’ai dit: si ça ne te dérange pas, qu’est-ce que je peux
faire de plus...
La voiture démarra et Luc agita la main par la vitre, en
signe d’au revoir.
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Chapitre 13
Je n’ai pas vu passer les mois, dévoré par le travail. Les
mercredis, Sophie et moi passions la soirée ensemble, un dîner
en amis, parfois précédé d’une séance de cinéma où nos
solitudes se confondaient dans l’obscurité de la salle. Luc lui
écrivait chaque semaine. Un petit mot qu’il rédigeait pendant
que son père sommeillait sur sa chaise, adossé au mur de la
boulangerie. Chaque fois, Sophie me transmettait les quelques
lignes qui m’étaient adressées, Luc s’excusait de ne pas avoir
plus de temps pour m’écrire. Je crois que c’était une façon bien
à lui de me tenir au courant de sa correspondance avec Sophie.
Le studio était calme, beaucoup trop à mon goût. Il
m’arrivait de contempler cette pièce où nous avions tous trois
passé tant de soirées, de regarder la porte entrouverte de la
cuisine et d’espérer que Luc en surgirait, portant un plat de
pâtes ou l’un de ses fameux gratins. Je lui avais fait une
promesse et je veillais à la respecter scrupuleusement. Les
mardis et samedis, je montais voir notre voisine et passais une
heure en sa compagnie. Au fil des mois, j’en avais plus appris
sur sa vie que ses propres enfants, me jurait-elle. Ces visites
avaient du bon: elle qui refusait de prendre ses médicaments
cédait devant l’autorité médicale que je représentais.
Un lundi soir, j’eus l’immense surprise de voir s’exaucer un
de mes vœux. Je rentrais chez moi quand je sentis dans
l’escalier une odeur familière. En ouvrant la porte, je trouvai
Luc en tablier, et trois couverts posés à même le sol.
― Ben oui, j’avais oublié de te rendre la clé! Je n’allais
quand même pas rester sur le palier à t’attendre. Je t’ai préparé
ton plat préféré, un gratin de macaronis dont tu me diras des
nouvelles. Je sais, il y a trois assiettes, je me suis permis
d’inviter Sophie. D’ailleurs si tu pouvais surveiller la cuisine, il
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faudrait que j’aille me doucher, elle arrive dans une demi-heure
et je n’ai même pas eu le temps de me changer.
― Bonjour quand même, lui répondis-je.
― Surtout n’ouvre pas la porte du four! Je compte sur toi,
j’en ai pour cinq minutes. Tu aurais une chemise à me prêter?
Tiens, dit-il en fouillant mon armoire, la bleue fera l’affaire. J’ai
profité du jour de fermeture, tu te souviens que la boulangerie
ferme le mardi? J’ai dormi dans le train et me voilà frais
comme un gardon. Ça me fait quand même un drôle d’effet
d’être ici.
― Et moi drôlement plaisir de te voir.
― Ah, tout de même, je me demandais si tu allais finir par
le dire! Un pantalon, tu aurais aussi un pantalon que je
pourrais t’emprunter?
Luc abandonna mon peignoir sur le lit et enfila le pantalon
qu’il avait choisi, il se recoiffa devant le miroir et ajusta la
mèche qui tombait sur son front.
― Il faudrait que je me coupe les cheveux, tu ne crois pas?
J’ai commencé à en perdre, tu sais. C’est génétique, il paraît.
Mon père se paye un bel aéroport à moustiques à l’arrière du
crâne, je crois que je suis bon pour hériter bientôt d’une piste
d’atterrissage sur le front. Tu me trouves comment? me
demanda-t-il en se retournant vers moi.
― À son goût, si c’est ce que tu veux savoir. Sophie te
trouvera très sexy dans mes vêtements.
― Qu’est-ce que tu vas imaginer? C’est juste que je n’ai pas
souvent l’occasion de quitter mon tablier, alors pour une fois
que je peux me mettre sur mon trente et un, ça me fait plaisir,
voilà tout.
Sophie sonna à la porte, Luc se précipita pour l’accueillir.
Ses yeux pétillaient encore plus que lorsque, enfants, nous
réussissions à jouer un sale tour à Marquès.
Sophie était vêtue d’un petit pull bleu marine et d’une jupe
à carreaux qui lui descendait aux genoux. Elle les avait achetés
l’après-midi même dans une friperie et nous demanda notre
avis sur son look un tantinet rétro.
― Ça te va à merveille, répondit Luc.
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Sophie sembla se contenter de son avis car elle le rejoignit
à la cuisine sans attendre le mien.
Au cours du repas, Luc nous avoua qu’il lui arrivait parfois
de regretter certains aspects de sa vie d’étudiant, pas les salles
de dissection, précisa-t-il aussitôt, les couloirs de l’hôpital non
plus et encore moins les Urgences, mais des soirées comme
celle-là.
Lorsque le dîner s’acheva, je restai chez moi. Cette fois,
c’est Luc qui alla finir la nuit chez Sophie. Avant de partir, il
promit de revenir me voir avant la fin du printemps. La vie en a
voulu autrement.
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Chapitre 14
Maman m’avait annoncé dans une lettre sa venue aux
premiers jours de mars. En prévision de son arrivée, j’avais
réservé une table dans son restaurant préféré et négocié
âprement avec mon chef de service une journée de congé. Ce
mercredi matin, j’allai la chercher à la descente du train. Les
wagons se vidaient de leurs passagers, mais ma mère n’était pas
parmi eux. Soudain, Luc m’apparut sur le quai. Il ne portait
aucun bagage et se tenait immobile face à moi. Aux larmes dans
ses yeux, je compris aussitôt qu’un monde venait de disparaître
et que plus rien ne serait comme avant.
Luc s’approcha lentement. J’aurais voulu qu’il ne
m’atteigne jamais, qu’il ne puisse pas prononcer les mots qu’il
s’apprêtait à dire.
Une foule m’entourait, celle des voyageurs qui avançaient
vers les portes de la gare. J’aurais voulu être ceux dont la terre
continuait de tourner comme si de rien n’était quand la mienne
venait tout juste de s’arrêter.
Luc a dit: «Ta mère est morte, mon vieux», et j’ai senti le
coup de poignard déchirer mes entrailles. Il me retenait dans
ses bras, tandis que les sanglots m’emportaient. J’ai poussé un
cri sur ce quai de gare, je m’en souviens encore, un hurlement
surgi de l’enfance; Luc me serrait plus fort pour m’empêcher de
tomber, en chuchotant: «Gueule, gueule tant que tu veux, je
suis là pour ça, mon vieux.»
Je ne te reverrai plus jamais, je ne t’entendrai plus
m’appeler comme tu le faisais autrefois le matin, je ne sentirai
plus ce parfum d’ambre qui t’habillait si bien. Je ne pourrai plus
partager avec toi mes joies et mes chagrins, nous ne nous
raconterons plus rien. Tu n’arrangeras plus dans le grand vase
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du salon les branches de mimosa que j’allais te chercher aux
derniers jours de janvier, tu ne porteras plus ton chapeau de
paille en été, ni l’étole en cachemire que tu posais sur tes
épaules aux premiers froids d’automne. Tu n’allumeras plus le
feu dans la cheminée lorsque les neiges de décembre
recouvriront ton jardin. Tu es partie avant que le printemps ne
vienne, tu m’as laissé, sans prévenir, et jamais de ma vie je ne
me suis senti aussi seul que sur ce quai de gare où j’appris que
tu n’étais plus.
«Ma mère est morte aujourd’hui», cette phrase, cent fois
je me la suis répétée, cent fois sans jamais pouvoir y croire.
L’absence née au jour de son départ ne m’a jamais quitté.
Sur le quai de la gare Luc m’a expliqué ce qui était arrivé. Il
avait proposé à ma mère de venir la chercher pour
l’accompagner à son train. C’est lui qui l’a découverte, inanimée
devant sa porte. Luc avait appelé les secours mais il était trop
tard, elle était partie la veille au soir. Sortant probablement
pour fermer ses volets, elle s’était écroulée, foudroyée par un
arrêt cardiaque. Maman a passé sa dernière nuit sur cette terre
allongée dans son jardin, les yeux ouverts sur les étoiles.
Nous avons repris le train ensemble. Luc me regardait en
silence et moi je regardais défiler le paysage par la fenêtre,
pensant au nombre de fois où ma mère l’avait contemplé en
venant me voir. J’ai oublié de décommander notre table dans
son restaurant préféré.
Elle m’attendait au funérarium. Maman était
incroyablement prévenante, le responsable des pompes
funèbres m’apprit qu’elle s’était occupée de tout. Elle
m’attendait, allongée dans son cercueil. Sa peau était pâle, elle
avait ce sourire rassurant, cette façon si maternelle de me dire
que tout irait bien, qu’elle veillait sur moi, comme au premier
jour de la rentrée des classes. J’ai posé mes lèvres sur ses joues.
Un dernier baiser à sa mère est comme un rideau qui tombe
pour toujours sur la scène de votre enfance. Je suis resté toute la
nuit à la veiller, elle en avait tant passées à veiller sur moi.
À l’adolescence, on rêve du jour où l’on quittera ses
parents, un autre jour ce sont vos parents qui vous quittent.
Alors, on ne rêve plus qu’à pouvoir redevenir, ne serait-ce qu’un
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instant, l’enfant qui vivait sous leur toit, les prendre dans vos
bras, leur dire sans pudeur qu’on les aime, se serrer contre eux
pour qu’ils vous rassurent encore une fois.
J’ai écouté le sermon du prêtre qui officiait devant la
tombe de ma mère. On ne perd jamais ses parents, même après
leur mort ils vivent encore en vous. Ceux qui vous ont conçu, qui
vous ont donné tout cet amour afin que vous leur surviviez, ne
peuvent pas disparaître.
Le prêtre avait raison, mais l’idée de savoir qu’il n’est plus
d’endroit dans le monde où ils respirent, que vous n’entendrez
plus leur voix, que les volets de votre maison d’enfance seront
clos à jamais, vous plonge dans une solitude que même Dieu
n’avait pu concevoir.
Je n’ai jamais cessé de penser à ma mère. Elle est présente
à chacun des moments de ma vie. Il m’arrive de voir un film en
pensant qu’elle l’aurait apprécié, d’écouter une chanson dont
elle fredonnait les paroles, et certains jours merveilleux de
sentir dans l’air, au passage d’une femme, un parfum d’ambre
qui me rappelle à elle; il m’arrive même parfois de lui parler à
voix basse. Le prêtre avait raison, qu’on croie en Dieu ou pas,
une mère ne meurt jamais tout à fait, son immortalité est là,
dans le cœur de l’enfant qu’elle a aimé. J’espère un jour gagner
ma parcelle d’éternité dans le cœur d’un enfant qu’à mon tour
j’aurai élevé.
Presque tout le village était présent à l’enterrement, même
Marquès qui portait à ma grande surprise une écharpe en
bandoulière. Ce con avait réussi à se faire élire maire du village.
Le père de Luc avait fermé sa boulangerie pour venir aux
obsèques. Mme la directrice était présente elle aussi, elle avait
Äàòà ïóáëèêîâàíèÿ: 2014-11-19; Ïðî÷èòàíî: 155 | Íàðóøåíèå àâòîðñêîãî ïðàâà ñòðàíèöû | Ìû ïîìîæåì â íàïèñàíèè âàøåé ðàáîòû!