Ãëàâíàÿ Ñëó÷àéíàÿ ñòðàíèöà Êîíòàêòû | Ìû ïîìîæåì â íàïèñàíèè âàøåé ðàáîòû! | ||
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la cour, on appelle ça l’été et c’est la plus belle des saisons.
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Chapitre 3
L’avantage de vivre dans ma petite ville, c’est qu’on n’a pas
vraiment besoin d’aller très loin pour partir en vacances. Entre
l’étang pour aller se baigner et la forêt pour pique-niquer, on a
tout ce qu’il faut sur place. Luc aussi restait, ses parents ne
pouvaient pas fermer la boulangerie. Les gens auraient été
obligés d’acheter leur pain au supermarché et la maman de Luc
dit que quand on prend des mauvaises habitudes c’est très dur
de s’en défaire.
Fin juillet, il s’est passé un truc épatant. Luc a hérité d’une
petite sœur. C’était assez rigolo de la voir gigoter dans son
berceau. Luc n’était plus tout à fait le même depuis la naissance
de sa sœur, moins insouciant, il pensait à son rôle de grand
frère et me parlait souvent de ce qu’il ferait plus tard. Moi aussi,
j’aurais aimé avoir une petite sœur ou un petit frère.
Au mois d’août maman eut droit à dix jours de congés.
Nous avons emprunté la voiture d’une de ses amies et nous
avons roulé jusqu’à la mer. C’était la deuxième fois de ma vie
que je m’y rendais.
Ça vieillit pas la mer, la plage était pareille la dernière fois.
C’est dans ce petit village au bord de l’eau que j’ai
rencontré Cléa. Une fille bien plus jolie qu’Élisabeth. Cléa était
sourde et muette de naissance, une amie faite pour moi, nous
nous sommes tout de suite très bien entendus.
Pour compenser sa surdité, Dieu a donné de grands yeux à
Cléa, ils sont immenses, c’est ce qui fait toute la beauté de son
visage. À défaut d’entendre elle voit tout, aucun détail ne lui
échappe. En fait, Cléa n’est pas vraiment muette, ses cordes
vocales sont intactes, mais comme elle n’a jamais pu entendre
les mots, elle ne sait pas les prononcer. Ça semble assez logique.
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Quand elle essaie de parler, les sons rauques qui sortent de sa
gorge font un peu peur au début, mais dès qu’elle rit, alors sa
voix ressemble à la musique d’un violoncelle et j’adore le
violoncelle. Ce n’est pas parce que Cléa ne dit rien qu’elle est
moins intelligente que les autres filles de son âge. Bien au
contraire, elle connaît des poésies par cœur qu’elle récite avec
les mains. Cléa se fait comprendre par des gestes. Ma première
amie sourde et muette a un caractère bien trempé. Pour dire
qu’elle a envie d’un Coca-Cola, par exemple, elle fait des trucs
incroyables avec ses doigts, et ses parents devinent aussitôt ce
qu’elle veut. J’ai tout de suite appris comment on dit «non» en
langage des signes quand elle a demandé si on pouvait avoir une
deuxième glace.
J’avais acheté une carte postale au bazar de la plage pour
écrire à mon père. J’ai rempli la partie gauche en m’appliquant
à écrire tout petit, vu le manque de place, mais au moment de
remplir les lignes à droite, mon crayon est resté suspendu dans
le vide, et moi avec. Je ne savais pas où l’adresser. Me rendre
compte que j’ignorais où vivait mon père m’a fichu un de ces
coups... J’ai repensé à la petite phrase d’Yves sur le banc de la
cour, quand il me disait que l’avenir était devant moi. Assis sur
le sable, je ne voyais devant moi que les mouettes plonger dans
l’eau pour attraper des poissons, et ça me ramenait aux parties
de pêche avec papa.
La vie peut basculer à une vitesse incroyable. Tout va très
mal et soudain un événement imprévu change le cours des
choses. J’avais envie d’une autre existence, je n’avais eu ni frère
ni sœur, mais, comme Luc, je réfléchissais à mon avenir. L’été
de ces vacances au bord de la mer avec maman, ma vie a
chaviré.
Dès que j’ai rencontré Cléa, j’ai su que plus rien ne serait
comme avant. Le jour de la rentrée, les copains seraient verts de
jalousie en apprenant que j’avais une amie sourde-muette, je me
réjouissais de voir la tête que ferait Élisabeth.
Cléa dessine des mots dans l’air, de la poésie
atmosphérique. Élisabeth ne lui arrive pas à la cheville. Mon
père disait qu’il ne faut jamais comparer les gens, chaque
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personne est différente, l’important est de trouver la différence
qui vous convient le mieux. Cléa était ma différence.
Par une fin de matinée ensoleillée, la première depuis le
début de notre séjour, Cléa s’est approchée de moi alors que
nous nous promenions sur le port. Jamais nous n’avions été si
proches. Nos ombres se frôlaient sur la jetée, j’ai eu peur et j’ai
fait un pas en arrière. Cléa n’a pas compris ma réaction. Elle m’a
regardé longuement, j’ai vu du chagrin dans ses yeux, puis elle
est partie en courant. J’ai eu beau l’appeler de toutes mes forces,
elle ne s’est pas retournée. Quel crétin, elle pouvait pas
m’entendre! J’avais rêvé de lui prendre la main dès les premiers
instants de notre rencontre. Face à la mer, nous aurions eu plus
belle allure qu’Élisabeth et Marquès sous leur pauvre
marronnier de cour d’école. Si j’avais reculé, c’est parce que je
ne voulais surtout pas lui voler son ombre. Je ne voulais rien
savoir d’elle qu’elle n’ait voulu me dire avec ses mains. Cléa ne
pouvait pas deviner ça et mon mouvement de recul lui avait fait
de la peine.
Le soir, je n’ai pas cessé de réfléchir à la façon de me faire
pardonner et de nous réconcilier.
Après avoir pesé le pour et le contre, je me suis convaincu
qu’il n’y avait qu’un seul moyen de réparer le mal que je lui
avais fait: lui dire la vérité. Partager mon secret avec Cléa était à
mes yeux la seule solution si je voulais vraiment qu’on apprenne
à se connaître. À quoi ça sert de vouloir se lier à quelqu’un, si on
ne prend pas le risque de lui faire confiance?
Restait à trouver comment le lui révéler. Mon niveau en
langage de sourd-muet était encore assez limité et je manquais
de gestes pour lui raconter une telle histoire.
Le lendemain, le ciel était couvert. Agenouillée sur un
rocher au bout de la jetée, Cléa jouait à faire des ricochets en
lançant des galets dans l’eau. Sa mère, trop heureuse qu’elle ait
un ami, m’avait confié que c’était son refuge, elle s’y rendait
chaque matin. Je suis allé à sa rencontre et me suis assis près
d’elle. Nous avons regardé un long moment les vagues venir se
fracasser contre la grève. Cléa faisait comme si je n’étais pas là,
elle m’ignorait. J’ai réuni toutes mes forces et j’ai avancé ma
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main vers la sienne, espérant la frôler, mais Cléa s’est levée et
elle s’est éloignée en sautillant de rocher en rocher. Je l’ai suivie,
je me suis planté face à elle et j’ai pointé du doigt nos ombres,
qui s’étiraient sur la jetée. Je lui ai demandé de ne pas bouger,
j’ai fait un pas de côté et mon ombre a recouvert la sienne. Puis
j’ai reculé et les yeux de Cléa sont devenus encore plus grands.
Elle a tout de suite compris ce qui venait de se passer. Pour
quelqu’un d’un tant soit peu observateur, ce n’était pas si
difficile, l’ombre devant moi avait les cheveux longs, celle
devant elle, les cheveux courts. Je me suis bouché les oreilles, en
espérant que son ombre serait aussi muette qu’elle, mais j’ai
tout de même eu le temps de l’entendre me dire «Au secours,
aide-moi». Je me suis agenouillé et j’ai crié «Tais-toi, je t’en
supplie, tais-toi!» et j’ai aussitôt fait en sorte que nos ombres
se recouvrent à nouveau pour que tout rentre dans l’ordre.
Cléa a dessiné un grand point d’interrogation dans l’air.
J’ai haussé les épaules et cette fois, c’est moi qui suis parti. Cléa
courait derrière moi, j’ai eu peur qu’elle glisse sur les rochers,
j’ai ralenti l’allure. Elle m’a pris par la main, elle aussi voulait
partager un secret avec moi. Pour que nous soyons quittes.
Au bout de la jetée se dresse un petit phare de rien du tout.
À le regarder planté là tout seul, on dirait que ses parents l’ont
abandonné et qu’il a cessé de grandir. Sa lanterne est éteinte, il
n’éclaire plus la mer depuis longtemps.
Ce vieux phare abandonné au bout de la jetée, c’est le vrai
lieu secret de Cléa. Depuis qu’elle me l’a fait découvrir, elle m’y
emmène dès que nous nous retrouvons. Nous passons sous la
chaîne à laquelle se balance un vieux panneau rouillé sur lequel
est écrit Accès interdit, nous poussons la porte en fer dont la
serrure rongée par le sel a rendu l’âme et grimpons l’escalier
jusqu’au balcon de veille. Cléa monte la première à l’échelle qui
mène à la coupole et nous restons là des heures entières à
guetter les bateaux et scruter l’horizon. Cléa dessine les vagues
d’un délicat mouvement du poignet gauche et sa main droite
ondule pour figurer les grands voiliers qui croisent au large.
Quand le soleil décline, elle fait un cercle en joignant ses pouces
et ses index, elle fait glisser derrière mon dos le soleil inventé
par ses mains, puis son rire de violoncelle envahit tout l’espace.
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Le soir, lorsque maman me demande où j’ai passé ma
journée, je lui parle d’un endroit sur la plage, à l’opposé d’un
phare qui n’appartient qu’à Cléa et à moi, un petit phare de rien
du tout, un phare abandonné que nous avons adopté.
Le troisième jour des vacances, Cléa n’a pas voulu monter à
la coupole, elle est restée assise au pied du phare et j’ai deviné à
son air renfrogné qu’elle attendait quelque chose de moi. Elle a
sorti un petit bloc-notes de sa poche et a griffonné sur une
feuille de papier qu’elle m’a tendue: «Comment fais-tu ça?»
À mon tour j’ai pris son bloc-notes pour lui répondre.
― Fais quoi?
― Ton truc avec les ombres, a écrit Cléa.
― Je n’en ai pas la moindre idée, c’est venu comme ça et je
m’en serais bien passé.
Grattement de crayon sur la feuille de papier, Cléa a raturé
sa ligne, elle avait changé d’idée en cours d’écriture. Sous le trait
j’avais pu quand même lire «Tu es fou!» mais elle avait
finalement préféré me dire «Tu as de la chance, est-ce que les
ombres te parlent?»
Comment elle avait pu deviner? J’étais incapable de lui
mentir.
― Oui!
― Est-ce que la mienne est muette?
― Non, je ne crois pas.
― Tu ne crois pas ou tu en es sûr?
― Elle n’est pas muette.
― C’est normal, moi non plus je ne suis pas muette dans
ma tête. Tu veux bien parler avec mon ombre?
― Non, j’aime mieux parler avec toi.
― Qu’est-ce qu’elle t’a dit?
― Rien d’important, c’était trop court.
― Elle a une jolie voix, mon ombre?
Je n’avais pas saisi toute l’importance, pour Cléa, de la
question qu’elle venait de me poser. C’était comme si une
personne aveugle me demandait à quoi ressemblait son reflet
dans un miroir. La différence de Cléa se trouvait dans son
silence, ça la rendait unique à mes yeux, mais Cléa rêvait de
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ressembler à n’importe quelle autre fille de son âge, une fille qui
pourrait s’exprimer autrement que par signes. Si elle avait su
combien sa différence était belle.
J’ai pris le crayon.
― Oui, Cléa, la voix de ton ombre est claire, ravissante et
mélodieuse. Elle te correspond parfaitement.
J’ai rougi en écrivant ces lignes et Cléa aussi en les lisant.
― Pourquoi es-tu triste? m’a demandé Cléa.
― Parce que les vacances vont forcément finir et que tu vas
me manquer.
― Nous avons encore une semaine devant nous, et puis si
tu reviens l’an prochain, tu sauras où me trouver.
― Oui, au pied du phare.
― Je t’y attendrai dès le premier jour des vacances.
― Tu promets?
Cléa a dessiné une promesse avec ses mains. C’est bien
plus beau qu’avec des mots.
Une éclaircie perçait le ciel, Cléa leva la tête et écrivit sur le
bloc-notes:
― Je voudrais que tu marches encore sur mon ombre, que
tu me dises ce qu’elle te raconte.
J’ai hésité, mais j’ai voulu lui faire plaisir, alors je me suis
avancé vers elle. Cléa a posé ses mains sur mes épaules et s’est
approchée tout près de moi. J’avais le cœur qui battait à cent à
l’heure, je ne prêtais aucune attention à nos ombres, seulement
aux yeux immenses de Cléa qui se rapprochaient de mon visage,
à m’en faire loucher. Nos nez se sont frôlés, Cléa a jeté son
chewing-gum, mes jambes étaient toutes m olles, j’avais
l’impression que j’allais m’évanouir.
J’ai entendu dire dans un film que les baisers avaient un
goût de miel, avec Cléa ils avaient le goût du chewing-gum à la
fraise qu’elle avait jeté avant de m’embrasser. À écouter mon
cœur tambouriner dans ma poitrine, je me suis dit qu’on
pouvait peut-être mourir d’un baiser. J’avais quand même envie
qu’elle recommence, mais elle a reculé. Elle me dévisageait. Elle
a souri et a écrit sur la feuille de papier, avant de partir en
courant:
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― Tu es mon voleur d’ombre, où que tu sois, je penserai
toujours à toi.
Voilà comment la vie peut chavirer, un mois d’août. Il suffit
de rencontrer une Cléa pour que plus aucun matin ne soit le
même, pour que plus rien ne soit comme avant, pour que la
solitude s’efface.
Le soir qui a suivi mon premier baiser, j’ai eu envie d’écrire
à Luc ce qui m’était arrivé. Peut-être pour prolonger cet instant.
Parler de Cléa, c’était la garder encore un peu avec moi. Et puis
j’ai déchiré la lettre en mille morceaux.
Le lendemain, Cléa n’était pas au pied du phare. J’ai fait
dix allers-retours sur la jetée en l’attendant. J’ai eu peur qu’elle
soit tombée à l’eau. C’est drôlement dangereux de s’attacher à
quelqu’un. C’est incroyable ce que ça peut faire mal. Rien que la
peur de perdre l’autre est douloureuse. Jamais je n’aurais
imaginé cela avant. Pour papa, je n’avais pas eu le choix, on ne
choisit pas son père et encore moins le fait qu’il décide un jour
de vous quitter, mais Cléa, c’était différent. Avec elle, tout était
différent. Je broyais du noir quand soudain j’ai entendu au loin
la mélodie du violoncelle. Cléa était sur le port en compagnie de
ses parents devant la baraque du marchand de glaces. Son père
avait renversé son cornet sur sa chemise et Cléa riait aux éclats.
Je ne savais pas quoi faire, rester là ou courir la rejoindre? La
maman de Cléa m’a adressé un signe de la main. Je lui ai
retourné son bonjour et je suis parti dans la direction opposée.
Je passai une sale journée à attendre Cléa sans
comprendre pourquoi ça me rendait si cafardeux. La digue où
nous nous promenions encore la veille était battue par les
vagues. D’être là, tout seul, me rendait triste à crever. Je devais
avoir croisé la pire des ombres, celle de l’absence, et sa
compagnie était détestable. Je n’aurais pas dû faire confiance à
Cléa, et lui révéler mon secret. Je n’aurais pas dû la rencontrer.
Quelques jours plus tôt, je n’avais pas besoin d’elle, ma vie était
ce qu’elle était mais au moins elle tenait debout. Maintenant,
sans nouvelles de Cléa, tout s’écroulait autour de moi. C’est
moche d’avoir à guetter un signe de quelqu’un pour se sentir
heureux. J’ai quitté la jetée et je suis allé me promener près du
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bazar de la plage. J’avais envie d’écrire à mon père, alors j’ai
chapardé une grande carte postale sur le tourniquet et je me
suis installé à une table de la buvette. À cette heure-là, il n’y
avait pas grand monde, le serveur n’a rien dit.
Papa,
Je t’écris du bord de la mer où maman et moi passons
quelques jours de vacances. J’aurais aimé que tu sois avec
nous, mais les choses sont ce qu’elles sont. J’aimerais avoir de
tes nouvelles, savoir que tu es heureux. Côté bonheur, pour
moi, ça va ça vient. Si tu avais été là, je t’aurais raconté ce qui
m’arrive et j’imagine que ça m’aurait fait du bien. Tu m’aurais
donné des conseils. Luc dit qu’il n’en peut plus des conseils de
son père, moi je suis en manque.
Maman prétend que l’impatience tue l’enfance, je
voudrais tellement grandir, papa, être libre de voyager, fuir
les endroits où je ne me sens pas bien. Adulte, je partirai à ta
rencontre, je te retrouverai, où que tu sois.
Si d’ici là nous ne nous sommes pas revus, nous aurons
tant de choses à nous raconter qu’il nous faudra cent déjeuners
pour tout se dire, ou au moins une semaine de vacances rien
qu’à nous deux. Ce serait formidable de pouvoir passer autant
de temps ensemble. Je devine que ça doit être trop compliqué et
je me demande pourquoi. Chaque fois que j’y pense, je me
demande aussi pourquoi tu n’écris pas. Toi, tu sais où j’habite.
Peut-être que tu répondras à cette carte postale, peut-être que
je trouverai une lettre de toi en rentrant à la maison, peut-être
que tu viendras me chercher?
Je crois que j’en ai marre des peut-être.
Ton fils qui t’aime quand même.
J’ai traîné les pieds jusqu’à la boîte aux lettres. Tant pis si
j’ignorais où vivait mon père. J’ai fait comme pour Noël, je l’ai
postée, sans timbre ni adresse.
*
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Sur l’étal du bazar pendait un joli cerf-volant en papier de
Chine. Il avait la forme d’un aigle. J’ai dit au marchand que
maman viendrait le payer plus tard. J’ai une tête qui inspire
confiance, je suis parti avec mon cerf-volant sous le bras.
Quarante mètres de fil, c’était inscrit sur l’emballage. À
quarante mètres du sol, on doit voir toute la station balnéaire, le
clocher de l’église, la rue du marché, le manège de chevaux de
bois et la route qui file vers la campagne. Si on lâche la ficelle,
on doit découvrir tout le pays, et si les vents sont favorables,
faire le tour de la terre, voir de très haut ceux qui vous
manquent. J’aurais voulu être un cerf-volant.
Mon aigle grimpait joliment, la bobine de fil n’était pas
complètement dévidée, mais il volait fièrement dans le ciel. Son
ombre se promenait sur le sable, les ombres de cerfs-volants
sont des ombres mortes, ce ne sont que des taches. Quand j’en
ai eu assez, j’ai ramené l’oiseau à moi, lui ai replié les ailes et
nous sommes rentrés. En arrivant à la maison d’hôtes, j’ai
cherché un endroit où le cacher, et puis j’ai changé d’avis.
J’ai pris un sérieux savon après a voir présenté à maman le
cadeau qu’elle m’avait offert. Elle a menacé de le jeter à la
poubelle, puis elle a eu une idée encore plus cruelle: me forcer à
le rapporter au marchand du bazar et trouver les mots pour
excuser, je cite, ma conduite inexcusable. J’ai usé de mon
sourire contrit dévastateur, mais il n’a pas du tout dévasté ma
mère. J’ai dû aller me coucher sans manger, ça n’avait aucune
importance, quand je suis contrarié je n’ai pas faim.
*
**
Le lendemain, à 10 h 30, garée devant le bazar de la plage,
maman a ouvert la portière de la voiture et m’a lancé d’un air
menaçant:
― Allez, sors de là, et dépêche-toi, tu sais ce que tu dois
faire!
Mon supplice avait débuté après le petit déjeuner. Il avait
fallu rembobiner le fil pour que la bobine soit impeccablement
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enroulée, replier les ailes de mon aigle et les nouer avec un
ruban que maman m’avait donné. Le trajet s’était passé dans un
silence solennel. La suite de l’épreuve consistait à traverser
l’esplanade jusqu’au bazar, et à rendre le cerf-volant au
Äàòà ïóáëèêîâàíèÿ: 2014-11-19; Ïðî÷èòàíî: 178 | Íàðóøåíèå àâòîðñêîãî ïðàâà ñòðàíèöû | Ìû ïîìîæåì â íàïèñàíèè âàøåé ðàáîòû!