Ãëàâíàÿ Ñëó÷àéíàÿ ñòðàíèöà Êîíòàêòû | Ìû ïîìîæåì â íàïèñàíèè âàøåé ðàáîòû! | ||
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alors m’a sidéré.
La lettre de sa mère n’avait jamais existé. Sur les pages de
cet album qui avait brûlé dans la remise, n’apparaissaient que
celles qu’il lui avait écrites, durant toute sa vie. La maman
d’Yves était morte en le mettant au monde, bien avant qu’il
n’apprenne à lire.
Les larmes me sont montées aux yeux. Pas à cause de la
disparition précoce de sa mère, mais à cause de son mensonge.
Imaginez ce qu’il lui avait fallu de malheur à cacher pour
s’inventer une correspondance avec une maman qu’il n’avait
jamais connue. Son existence était comme un puits sans fond,
un puits de tristesse impossible à combler, qu’Yves avait été
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juste capable de recouvrir d’un couvercle en forme de lettre
imaginaire.
C’est son ombre qui m’avait soufflé tout ça au creux de
l’oreille.
J’ai prétendu avoir un devoir en retard, je me suis excusé
en jurant de revenir dès la prochaine récré et je suis parti en
courant. En arrivant sous le préau, je me suis senti lâche. J’ai eu
honte pendant tout le cours de Mme Schaeffer mais je n’ai pas
trouvé la force de retourner auprès de mon copain le gardien,
comme je le lui avais promis.
*
**
À la maison, maman m’annonça qu’un documentaire sur la
déforestation de la forêt amazonienne passait le soir même à la
télévision. Elle avait préparé un plateau-repas que nous
partagerions sur le canapé du salon. Elle m’installa devant le
poste, m’apporta un crayon et un cahier, et s’assit à côté de moi.
Le nombre d’animaux condamnés à l’exode et à l’extinction,
parce que les hommes aiment l’argent au point d’en perdre la
raison, c’est terrifiant!
Pendant que nous assistions, impuissants, à la
condamnation à mort des paresseux du Brésil, animal dont je
me sentais complice et proche, maman découpait le poulet. À la
moitié de l’émission, je jetai un coup d’œil à la carcasse de la
volaille et fis le vœu de devenir végétarien dès que ce serait
possible.
Le présentateur nous expliquait le principe de
l’évapotranspiration, un truc assez simple. Sous les arbres, la
terre transpire, un peu comme nous sous les poils. La sueur de
la planète s’évapore et remonte pour former des nuages. Quand
ils sont assez gros, il pleut, ce qui fournit l’eau nécessaire à ce
que les arbres se reproduisent et soient en forme. Faut
reconnaître que le système est assez bien pensé dans l’ensemble.
Évidemment, si on continue de tondre la terre comme un œuf, il
n’y aura plus de sueur et donc plus de nuages. Imaginez les
conséquences d’un monde sans nuages, surtout pour moi! La
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vie vous joue parfois de drôles de tours. J’avais inventé cet
exposé sur le réchauffement climatique pour avoir un alibi, sans
supposer combien ce sujet allait me toucher de près.
Maman s’était endormie, j’ai augmenté un peu le son de la
télé pour tester son sommeil, il était profond. Encore une de ses
journées épuisantes. Ça me démoralisait de la voir dans cet état.
Raison de plus pour ne pas la réveiller. J’ai baissé le volume et
je suis monté en douce dans le grenier. La lune viendrait bientôt
se mettre dans l’axe de la lucarne.
Selon la procédure en vigueur depuis ma dernière
expérience, je me tenais bien droit, dos à la vitre, poings serrés.
Mon cœur battait à cent dix pulsations minute, conséquence
directe de la trouille que j’avais.
À 22 heures pile, l’ombre m’est apparue, d’abord toute fine,
à peine plus épaisse qu’un trait de crayon sur le plancher du
grenier, puis elle a pris de l’ampleur. J’étais pétrifié, j’aurais
voulu faire quelque chose, mais je n’arrivais même pas à bouger
les doigts. Mon ombre aurait dû être tout aussi immobile, mais
elle a levé les bras, alors que les miens étaient plaqués le long de
mon corps. La tête de l’ombre s’est inclinée, à droite, à gauche,
elle s’est mise de profil et, aussi surprenant que cela puisse
paraître, elle m’a tiré la langue.
Si! On peut avoir peur et rire en même temps, ce n’est pas
incompatible. L’ombre s’est étirée devant mes pieds et est allée
se déformer sur les cartons. Elle se faufilait entre les malles, et
sa main s’est posée sur une boîte, exactement comme si elle
s’appuyait dessus.
― Tu es à qui? balbutiai-je.
― À qui veux-tu que j’appartienne? Je suis à toi, je suis ton
ombre.
― Prouve-le!
― Ouvre cette boîte, tu verras par toi-même. J’ai un petit
cadeau pour toi.
J’ai fait trois pas en avant, l’ombre s’est écartée.
― Pas celle du dessus, tu l’as déjà ouverte, prends plutôt
celle qui se trouve en dessous.
J’ai obéi. J’ai posé par terre la première boîte et ouvert le
couvercle de la seconde. Elle était remplie de photographies, je
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ne les avais jamais vues avant, des photos de moi le jour de ma
naissance. Je ressemblais à un gros cornichon flétri, en moins
vert et avec des yeux. Je n’étais pas à mon avantage et je ne
trouvais pas ce cadeau particulièrement intéressant.
― Regarde la photo suivante! insista l’ombre.
Mon père me tenait tout contre lui, ses yeux étaient posés
sur moi et il souriait comme je ne l’avais jamais vu sourire. Je
me suis approché de la lucarne pour regarder son visage de plus
près. Il y avait autant de lumière dans son regard que le jour de
son mariage.
― Tu vois, murmura l’ombre, il t’a aimé dès les premiers
instants de ta vie. Il n’a peut-être jamais trouvé les mots pour te
le dire, mais cette photo vaut toutes les belles phrases que tu
aurais voulu entendre.
J’ai continué à regarder la photo, ça me faisait un bien fou
de me voir dans les bras de mon père. Je l’ai rangée dans la
poche de ma veste de pyjama, pour la garder sur moi.
― Maintenant, assieds-toi, il faut que l’on parle, a dit
l’ombre.
Je me suis assis en tailleur sur le sol. L’ombre s’est mise
dans la même position, face à moi, j’avais l’impression qu’elle
me tournait le dos, mais ce n’était que l’effet d’un rayon de lune.
― Tu as un pouvoir très rare, il faut que tu acceptes de t’en
servir, même s’il te fait peur.
― Pour faire quoi?
― Tu es heureux d’avoir vu cette photo, non?
Je ne sais pas si «heureux» était le bon mot, mais cette
photo de papa me tenant dans ses bras me rassurait beaucoup.
J’ai haussé les épaules. Je me suis dit que s’il ne m’avait pas
donné de nouvelles depuis son départ, c’est qu’il ne devait pas
pouvoir faire autrement. Autant d’amour ne pouvait disparaître
en quelques mois. Il en avait forcément encore en lui.
― C’est exactement cela, poursuivit l’ombre comme si elle
avait lu dans mes pensées. Trouve pour chacun de ceux dont tu
dérobes l’ombre cette petite lumière qui éclairera leur vie, un
morceau de leur mémoire cachée, c’est tout ce que nous te
demandons.
― Nous?
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― Nous, les ombres, souffla celle à qui je m’adressais.
― Tu es vraiment la mienne? demandai-je.
― La tienne, celle d’Yves, de Luc ou de Marquès, peu
importe, disons que je suis la déléguée de la classe.
J’ai souri, je comprenais très bien de quoi elle parlait.
Une main s’est posée sur mon épaule, j’ai poussé un
hurlement. Je me suis retourné et j’ai vu le visage de maman.
― Tu parles avec ton ombre, mon chéri?
Pendant un court instant, j’ai espéré qu’elle ait tout
compris, qu’elle ait été témoin de ce qui m’arrivait, mais elle me
regardait d’un air attendri et désolé. J’en conclus qu’elle n’avait
aucun pouvoir. Elle n’avait entendu que ma voix dans ce
grenier; cette fois, j’étais bon pour les séances chez la
psychologue.
Maman me prit dans ses bras et me serra très fort contre
elle.
― Tu te sens si seul? me demanda-t-elle.
― Non, je te jure que non, répondis-je pour la rassurer,
c’est juste un jeu.
Maman avança à genoux vers la lucarne, approchant son
visage de la vitre.
― C’est beau la vue, d’ici. Je n’étais pas remontée dans ce
grenier depuis si longtemps. Viens, assieds-toi près de moi, et
raconte-moi ce que ton ombre et toi vous disiez.
En me retournant, j’ai vu l’ombre de maman, seule à côté
de la mienne. Alors, à mon tour, j’ai pris ma mère dans mes bras
et je lui ai donné tout l’amour que je pouvais.
«Il n’est pas parti à cause de toi, mon chéri. Il est tombé
amoureux d’une autre femme... et moi je suis tombée de haut.»
Aucun enfant au monde n’a envie d’entendre sa mère lui
faire ce genre d’aveu. Cette phrase, maman ne l’a pas
prononcée, c’est son ombre qui me l’a soufflée, dans le grenier.
Je pense que l’ombre de maman m’a fait cette confidence pour
me déculpabiliser à propos du départ de papa.
J’avais compris le message et ce que les ombres
attendaient de moi, maintenant ce n’était plus qu’une question
d’imagination et maman ne cessait de me répéter que de ce
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côté-là, je ne manquais de rien. Je me suis penché vers ma mère
et je lui ai demandé de me rendre un petit service.
― Tu m’écrirais une lettre?
― Une lettre? Quel genre de lettre? a répondu maman.
― Imagine que pendant que j’étais dans ton ventre tu aies
voulu me dire que tu m’aimais, comment tu aurais fait
puisqu’on ne pouvait pas encore se parler?
― Mais je n’ai pas cessé de te dire que je t’aimais pendant
que je t’attendais.
― Oui, mais moi, je ne pouvais pas t’entendre.
― On dit que les bébés entendent tout dans le ventre de
leur mère.
― Je ne sais pas qui t’a raconté ça, en tout cas, je ne me
souviens de rien.
Maman me regarda bizarrement.
― Où veux-tu en venir?
― Disons que pour me dire tout ce que tu ressentais, et que
je puisse m’en souvenir, tu aurais pu avoir l’idée de m’écrire. Tu
m’aurais rédigé une lettre à lire bien après ma naissance, par
exemple, une lettre où tu me souhaiterais plein de choses, où tu
me donnerais deux, trois conseils pour être heureux quand je
serai grand.
― Et tu voudrais que je te l’écrive maintenant, cette lettre?
― Oui, c’est exactement ça, mais en te remettant dans la
peau de la maman qui était enceinte de moi. Tu connaissais déjà
mon prénom quand j’étais dans ton ventre?
― Non, nous ne savions pas si tu étais une fille ou un
garçon. Nous l’avons choisi le jour où tu es venu au monde.
― Alors écris la lettre sans mettre de prénom, ce sera
encore plus authentique.
― Où est-ce que tu vas chercher des idées pareilles? me
demanda maman en m’embrassant.
― Dans mon imagination! Alors, tu veux bien le faire?
― Oui, je vais te l’écrire, cette lettre, je m’y mettrai dès ce
soir. Maintenant, il est grand temps que tu ailles te coucher.
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Je filai au lit, avec l’espoir que mon plan fonctionnerait
jusqu’au bout. Si ma mère tenait sa promesse, la première partie
était déjà gagnée.
Au petit matin, lorsque j’ai ouvert les yeux, j’ai trouvé une
lettre de ma mère sur ma table de nuit et la photo de mon père
posée contre le pied de la lampe de chevet. Pour la première fois
depuis six mois, nous étions tous les trois réunis dans ma
chambre.
La lettre de ma mère était la plus belle lettre du monde.
Elle m’appartenait et serait à moi pour toujours. Mais j’avais
une mission importante à accomplir, et pour ça, je devais la
partager. Maman aurait sûrement compris si je l’avais mise
dans le secret.
J’ai rangé la lettre dans mon cartable et, sur le chemin de
l’école, je me suis arrêté chez le libraire. J’ai dépensé mes
économies de la semaine pour acheter une feuille d’un très beau
papier. J’ai donné la lettre de ma mère au libraire et nous avons
fait une photocopie sur sa toute nouvelle machine. L’original et
son double se confondaient. Un faux presque parfait, comme si
j’avais la lettre de ma mère et son ombre. J’ai tout de même
gardé l’original pour moi.
À la récré de midi, je suis allé traîner du côté des grandes
poubelles. J’ai fini par trouver ce dont j’avais besoin, un petit
morceau de bois brûlé de la remise qui avait échappé à la
décharge. Il y avait encore assez de suie dessus pour mettre la
deuxième partie de mon plan à exécution.
Je l’ai enveloppé dans une serviette de table que j’avais
chapardée à la cantine et je l’ai caché dans mon cartable.
Pendant le cours d’histoire de Mme Henry, alors que
Cléopâtre en faisait baver des vertes et des pas mûres à Jules
César, j’ai sorti discrètement mon bout de bois noirci et le
double de la lettre. Je les ai posés sur mon bureau et j’ai
commencé à salir le papier en étalant un peu de suie. Une
traînée par-ci, une tache par-là. Mme Henry avait dû repérer
mon petit manège, elle s’est arrêtée de parler, laissant Cléopâtre
au milieu d’un discours, et s’est avancée vers moi. J’ai roulé ma
feuille en boule et j’ai vite attrapé un crayon dans ma trousse.
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― Je peux savoir ce que tu as sur les mains? me demanda-
t-elle.
― Mon stylo, madame, lui répondis-je sans hésitation.
― Il doit fuir d’une drôle de façon ton stylo bleu, pour que
tu sois tout taché de noir. Dès que tu auras récupéré de quoi
écrire normalement, tu me copieras cent fois «Le cours
d’histoire n’est pas fait pour dessiner». Maintenant, va te laver
les mains et la figure, et reviens immédiatement.
Les copains de classe riaient aux éclats pendant que je me
dirigeais vers la porte. Ah, elle est belle la camaraderie!
En arrivant devant la glace des toilettes, j’ai compris tout
de suite comment je m’étais fait prendre. Je n’aurais jamais dû
passer ma main sur mon front, je ressemblais à un charbonnier.
De retour à mon pupitre, j’ai récupéré ma feuille de papier
en piteux état, redoutant que tout mon travail soit anéanti. Bien
au contraire, froissée comme ça, ma lettre avait exactement
l’apparence que je voulais lui donner. La sonnerie de la fin des
cours allait retentir, je pourrais bientôt mettre la troisième et
dernière partie de mon projet à exécution.
*
**
J’avais bon espoir que mon plan ait fonctionné. Le
lendemain, la lettre n’était plus à l’endroit où je l’avais
volontairement mal cachée, sous un morceau de bois des restes
de l’ancienne remise.
Mais j’allais devoir patienter une semaine pour en avoir la
confirmation.
*
**
Le mardi d’après, j’étais en pleine conversation avec Luc,
sur mon banc favori, quand Yves s’est approché de nous et a
demandé à mon copain s’il pouvait nous laisser seuls. Yves a
pris sa place, il a gardé le silence quelques instants.
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― J’ai donné mon congé à Mme la directrice, je m’en vais à
la fin de la semaine. Je voulais te l’annoncer moi-même.
― Alors vous aussi vous allez partir, pourquoi?
― C’est une longue histoire. À mon âge, il est temps que je
quitte l’école, non? Disons que, pendant toutes ces années ici, je
vivais dans le passé, prisonnier de mon enfance. Je me sens
libre désormais. J’ai du temps à rattraper, il faut que je me
construise une vraie vie, que je sois enfin heureux.
― Je comprends, ai-je marmonné, vous allez me manquer,
j’aimais bien vous avoir pour copain.
― Toi aussi tu me manqueras, nous nous reverrons peut-
être un jour.
― Peut-être. Vous allez faire quoi?
― Tenter ma chance ailleurs, j’ai un vieux rêve à réaliser, et
une promesse à tenir. Si je te dis ce que c’est, tu sauras te taire?
Juré?
J’ai craché par terre.
Yves m’a murmuré son secret à l’oreille, mais comme c’est
un secret, motus et bouche cousue. Je suis quelqu’un de parole.
On s’est serré la main, on avait décidé que c’était mieux de
se dire au revoir tout de suite. Vendredi, ce serait trop triste.
Comme ça, on avait quelques jours pour s’habituer à l’idée de ne
plus se voir.
En rentrant, je suis monté dans le grenier et j’ai relu la
lettre de maman. C’est peut-être cette phrase où elle m’écrit que
son plus grand souhait serait que je sois épanoui plus tard;
qu’elle espère que je trouverai un métier qui me rendra heureux
et que quels que soient les choix que je ferai dans ma vie, tant
que j’aimerai et que je serai aimé, j’aurai réalisé tous les espoirs
qu’elle fonde en moi.
Oui, ce sont peut-être ces lignes-là qui ont libéré Yves des
chaînes qui le retenaient à son enfance.
Pendant un temps, j’ai regretté d’avoir partagé la lettre de
ma mère avec lui. Ça m’a coûté un copain.
Mme la directrice et les professeurs ont organisé une petite
fête d’adieu. La cérémonie s’est tenue à la cantine. Yves était
beaucoup plus populaire qu’il ne l’imaginait, tous les parents
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d’élèves sont venus et je crois que ça l’a beaucoup ému. J’ai
demandé à maman qu’on s’en aille. Le départ d’Yves, je n’avais
envie de le vivre avec personne.
C’était un soir sans lune, inutile de traîner au grenier. Mais
dans les plis des rideaux de ma chambre, alors que je
m’endormais, j’ai entendu la voix de l’ombre d’Yves me dire
merci.
*
**
Depuis qu’Yves est parti, je ne vais plus me promener
autour de l’ancienne remise. Je me suis rendu compte que les
lieux aussi avaient des ombres. Les souvenirs rôdent et vous
rendent nostalgique dès que vous vous en approchez trop près.
C’est pas facile de perdre un copain. Pourtant, après avoir
changé d’école j’aurais dû être habitué, mais non, rien n’y fait,
c’est chaque fois la même chose, une part de soi reste avec celui
qui s’en est allé, c’est comme un chagrin d’amour mais en
amitié. Faut pas s’attacher aux autres, c’est trop risqué.
Luc sentait que j’avais le cafard. Chaque soir, en rentrant
de l’école, il m’invitait à passer chez lui. Nous faisions nos
devoirs ensemble avec un éclair au café en prime entre les
exercices de maths et les répétitions du cours d’histoire.
Le trimestre a fini par passer, j’ai fait extrêmement
attention où je mettais les pieds, j’avais besoin de reprendre des
forces avant d’utiliser à nouveau mon pouvoir. Je voulais
apprendre à bien savoir m’en servir.
Juin tirait à sa fin, les vacances approchaient et j’avais
réussi à garder mon ombre tout ce temps-là.
Maman n’a pas assisté à la remise des prix, elle était de
garde et aucune de ses collègues n’a pu la remplacer. Ça l’a
rendue très malheureuse, je lui ai dit que ce n’était pas grave. Il
y aurait une autre cérémonie l’année prochaine et on
s’arrangerait pour que cette fois-là elle puisse se libérer.
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Alors que je montais sur l’estrade, je jetai des coups d’œil
vers la tribune où les parents d’élèves avaient pris place en
espérant y voir mon père, peut-être qu’il s’était faufilé au milieu
des autres pères pour me faire une surprise. Lui aussi devait
être de garde, mes parents n’ont pas de chance, je ne peux pas
leur en vouloir, ce n’est pas leur faute.
Le bonheur de la remise des prix de fin d’année, c’est
justement la fin de l’année. Deux mois sans voir Marquès et
Élisabeth roucouler comme deux crétins sous le marronnier de
Äàòà ïóáëèêîâàíèÿ: 2014-11-19; Ïðî÷èòàíî: 183 | Íàðóøåíèå àâòîðñêîãî ïðàâà ñòðàíèöû | Ìû ïîìîæåì â íàïèñàíèè âàøåé ðàáîòû!