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Jack London. Love Of Live. Stories 3 ñòðàíèöà



électorale.

J’avançai vers le groupe. Marquès avait dû sentir ma

présence car il s’était retourné et me lançait un mauvais regard.

― Qu’est-ce que tu veux?

Les autres guettaient ma réponse.

― Te remercier pour hier, dis-je en balbutiant.

― Eh bien c’est fait, maintenant tu peux aller jouer aux

billes, m’a-t-il répondu tandis que les copains ricanaient.

Je ressentis alors une force dans mon dos, une force qui

me poussait à faire trois pas vers lui au lieu de me retirer

comme il me l’avait ordonné.

― Quoi encore? demanda-t-il en haussant le ton.

Je jure que ce qui s’est passé ensuite n’était pas prévu, que

je n’avais pas prémédité une seconde ce que j’allais pourtant

dire d’une voix assurée qui me surprit moi-même.

― J’ai décidé de me présenter à l’élection du délégué de

classe, je préférais que les choses soient claires entre nous!

La force me poussait maintenant en sens inverse, cette fois

en direction du préau vers lequel j’avançais, comme un soldat

droit dans ses bottes.

Pas un bruit derrière moi. Je m’attendais à entendre des

ricanements, seule la voix de Marquès brisa le silence.

― Alors, c’est la guerre, dit-il. Tu vas le regretter.

Je ne me retournai pas.

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Élisabeth, qui ne s’était pas mêlée au groupe, croisa mon

chemin et me chuchota que Marquès lui tapait sur les nerfs,

puis elle s’éloigna en faisant comme si de rien n’était. J’estimai

que ma durée de vie n’irait pas au-delà de la prochaine

récréation.

Et à la récréation, le soleil pointait au-dessus de la cour. Je

regardais les élèves qui commençaient une partie de basket,

quand j’ai vu s’allonger devant mes pieds ce que je redoutais

tant. Non seulement mon ombre était trop grande pour être la

mienne, mais je ne me sentais plus tout à fait le même. Combien

de temps avant que quelqu’un s’en aperçoive et révèle ce secret

qui me terrorisait? Par mesure de précaution, j’ai regagné le

préau. Luc, le fils du boulanger, qui s’était cassé la jambe

pendant les vacances et portait encore une attelle, m’a fait signe

de venir le rejoindre. Je me suis assis près de lui.

― Je t’avais sous-estimé. C’est drôlement gonflé ce que tu

viens de faire.

― C’est plutôt suicidaire, répondis-je, et puis je n’ai aucune

chance.

― Si tu veux gagner, tu dois changer d’état d’esprit. Rien

n’est jamais perdu d’avance, il faut avoir la volonté d’un

vainqueur pour avoir ses chances, c’est mon père qui dit ça. Et

puis je ne suis pas d’accord avec toi. Je suis sûr que, sous leurs

airs de bons camarades, il y en a plus d’un qui ne le supportent

pas.

― Qui ça?

― Ton rival, de qui veux-tu que je parle? En tout cas, tu

peux compter sur moi, je suis de ton côté.

Cette petite conversation de rien du tout était la plus belle

chose qui me soit arrivée depuis la rentrée. Ce n’était encore

qu’une promesse, mais la seule idée d’avoir enfin un copain de

mon âge suffisait à me faire oublier tout le reste, mon

affrontement avec Marquès, mon problème d’ombre et, pendant

quelques instants, j’en oubliai même que papa ne serait plus à la

maison pour que je lui raconte tout ça.

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Le mercredi, c’était la quille à 15 h 30. Après avoir inscrit

mon nom sur la liste des candidatures punaisée sur le tableau

en liège du secrétariat de l’école – j’avais remarqué à ce sujet

que mon nom était le seul à figurer sous celui de Marquès –, je

repris le chemin de la maison, en proposant à Luc de le

raccompagner chez lui puisque nous habitions dans le même

quartier.

Nous marchions l’un à côté de l’autre sur le trottoir et je

redoutais qu’il se rende compte que quelque chose clochait avec

nos ombres, la mienne s’étirait bien plus loin que la sienne alors

que nous mesurions presque la même taille. Mais il ne prêtait

aucune attention à nos pas, peut-être à cause de son attelle qui

lui fichait un complexe. Les élèves l’appelaient Capitaine

Crochet depuis le jour de la rentrée.

En passant à la hauteur de la pâtisserie, il me demanda si

un pain au chocolat me tenterait. Je n’avais pas assez d’argent

de poche pour m’en offrir un, mais ce n’était pas grave, j’avais

dans mon cartable un sandwich au Nutella préparé par maman,

ce serait tout aussi bon et on pouvait se le partager. Luc éclata

de rire et me dit que sa mère n’avait pas l’habitude de lui faire

payer ses goûters. Puis il me montra fièrement la devanture de

la boulangerie. Sur la vitrine, en lettres délicatement peintes à la

main, on pouvait lire «Boulangerie Shakespeare».

Et devant mon air ahuri, il me rappela que son père était

boulanger et que ça tombait bien parce que la «Boulangerie

Shakespeare», c’était justement celle de ses parents.

― Tu t’appelles vraiment Shakespeare?

― Oui, vraiment, mais aucun lien de parenté avec le père

d’Hamlet, c’est juste un synonyme.

― Homonyme! repris-je.

― Si tu veux. Bon, on le mange ce pain au chocolat?

Luc poussa la porte du magasin. Sa maman était ronde

comme une brioche, et souriante. Elle nous accueillit avec un

accent qui n’était pas du coin. La maman de Luc avait une voix

chantante, une voix à vous mettre tout de suite de bonne

humeur, une façon de parler qui vous faisait vous sentir le

bienvenu.

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Elle nous proposa un pain au chocolat ou un éclair au café

et, avant que nous ayons eu le temps de choisir, elle décida de

nous offrir les deux. J’étais gêné, mais Luc me dit que son père

en fabriquait toujours trop et que de toute façon, ce qui ne serait

pas vendu en fin de journée serait bon pour la poubelle, alors

autant ne pas gâcher. Nous avons dévoré notre pain au chocolat

et notre éclair au café sans nous faire prier.

La maman de Luc lui demanda de garder le magasin, le

temps qu’elle aille chercher la nouvelle fournée de pains dans

l’atelier.

Ça me faisait un drôle d’effet de voir mon copain assis sur

le tabouret derrière la caisse. Soudain, je nous imaginais avec

vingt ans de plus, en habits d’adultes, lui dans la peau du

boulanger et moi dans celle d’un client de passage...

Maman me dit souvent que j’ai l’imagination galopante.

J’ai fermé les yeux et, étrangement, je me suis vu entrer dans

cette boulangerie, j’avais une petite barbe et je tenais une

sacoche à la main, peut-être que quand je serai grand, je serai

médecin ou comptable; les comptables aussi portent des

sacoches. J’avance vers le présentoir et commande un éclair au

café quand soudain, je reconnais mon vieux copain d’école. Je

ne l’ai pas revu depuis toutes ces années, on tombe dans les bras

l’un de l’autre et on partage un éclair au café et un pain au

chocolat en souvenir du bon temps.

Je crois que c’est dans cette boulangerie, en regardant mon

copain Luc jouer au caissier, que j’ai pris conscience, pour la

première fois, que j’allais vieillir. Je ne sais pas pourquoi, mais

pour la première fois aussi, je n’ai plus eu envie de quitter mon

enfance, plus du tout eu envie d’abandonner ce corps que je

trouvais jusque-là trop petit. Je me sentais vraiment bizarre

depuis que j’avais piqué l’ombre de Marquès, il devait y avoir

des effets secondaires à cet étrange phénomène et cette idée

n’était pas faite pour me rassurer.

Quand la mère de Luc remonta du fournil avec une grille

de petits pains chauds qui sentaient drôlement bon, Luc lui dit

qu’il n’y avait eu aucun client. Elle soupira en haussant les

épaules, arrangea les petits pains sur l’étagère de la vitrine et

nous demanda si nous n’avions pas des devoirs. J’avais promis à

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maman de finir les miens avant son retour, je remerciai encore

Luc et sa mère et je repris le chemin de la maison.

Au carrefour, j’ai déposé mon sandwich au Nutella sur un

muret, pour le goûter des oiseaux; je n’avais plus faim et je ne

voulais surtout pas vexer ma mère en lui laissant croire que ses

goûters étaient moins bons que les gâteaux de Mme Shakespeare.

Devant moi, l’ombre s’était encore allongée. Je rasais les

murs, de peur de croiser un autre copain.

Arrivé à la maison, j’ai foncé dans le jardin pour étudier le

phénomène de plus près. Papa dit que pour grandir il faut

apprendre à affronter ses peurs, les confronter à la réalité. C’est

ce que j’ai tenté de faire.

Certains passent des heures devant le miroir en espérant y

voir un autre reflet que le leur, moi j’ai joué toute la fin d’après-

midi avec ma nouvelle ombre et, à ma grande surprise, j’ai

ressenti comme une renaissance. Pour la première fois, même si

ce n’était qu’en négatif imprimé sur le sol, j’avais l’impression

d’être un autre. Quand le soleil est passé derrière la colline, je

me suis senti un peu seul et presque triste.

Après un dîner vite expédié, mes devoirs étaient faits et

maman regardait son feuilleton préféré – elle avait décrété que

la vaisselle attendrait –, j’ai pu m’échapper au grenier sans

même qu’elle s’en rende compte. J’avais une idée en tête. Là-

haut, dans les soupentes, il y avait une grande lucarne, ronde

comme la pleine lune, et la lune était parfaitement pleine ce

soir-là. Il fallait à tout prix que j’éclaircisse ce qui m’arrivait. Ce

n’était pas anodin de marcher sur l’ombre de quelqu’un et de

repartir avec. Puisque maman me disait que j’avais trop

d’imagination, j’ai décidé d’aller vérifier ça au calme et le seul

endroit où je suis vraiment au calme, c’est dans le grenier.

Là-haut, c’était mon monde à moi. Mon père n’y allait

jamais, c’était trop bas de plafond, il se cognait toujours la tête

et ça lui faisait dire des mots terribles, du genre «putain»,

«bordel» et «merde». Parfois les trois en une seule phrase.

Moi, si j’en avais dit un seul, j’en aurais pris pour mon grade,

mais les adultes ont droit à des tas de trucs qui nous sont

interdits. Bref, dès que j’ai été en âge de grimper au grenier,

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mon père m’a envoyé à sa place et j’étais ravi de lui rendre ce

service. Pour être tout à fait honnête, au début le grenier me

faisait un peu peur, à cause de la pénombre, mais plus tard, ça a

été tout le contraire. J’adorais me faufiler au milieu des malles

et des vieilles boîtes en carton.

Dans l’une d’elles, j’avais découvert une collection de

photos de maman quand elle était très jeune. Maman est

toujours belle mais là, elle était carrément jolie. Et puis, il y

avait la boîte qui contenait les photos du mariage de mes

parents. C’est fou comme ils avaient l’air de s’aimer ce jour-là.

En les regardant, je me suis demandé ce qui s’était passé:

comment tout cet amour avait pu disparaître? Et surtout, où

était-il parti? L’amour, c’est peut-être comme une ombre,

quelqu’un le piétine et part avec. Peut-être que trop de lumière,

c’est dangereux pour l’amour, ou alors c’est le contraire, sans

lumière, l’ombre d’un amour s’efface et finit par s’en aller. J’ai

piqué une photo dans l’album rangé au grenier: papa tient la

main de maman sur le perron de la mairie. Maman a le ventre

un peu rond, du coup, je suis un peu là moi aussi. Autour de

mes parents, il y a des oncles et des tantes, des cousins et

cousines que je ne connais pas et tout ce monde a l’air de

s’amuser. Peut-être que je me marierai un jour moi aussi, avec

Élisabeth si elle est d’accord, si je prends quelques centimètres,

disons une bonne trentaine.

Dans le grenier il y avait aussi des jouets cassés, tous ceux

que je n’avais pas été capable de remonter après avoir étudié de

près comment ils avaient été fabriqués. Bref, au milieu du bric-

à-brac de mes parents, je me sentais dans un autre univers, un

univers à ma taille. Mon monde à moi se trouvait dans ma

maison, mais sous les toits.

Me voilà face à la lucarne, je me tiens bien droit pour

regarder la lune se lever, elle est pleine et sa lumière se pose sur

les planches en bois du grenier. On voit même flotter des

particules de poussière en suspension dans l’air, ça donne un

côté paisible au lieu, c’est si calme ici. Ce soir, avant le retour de

maman, je suis allé dans l’ancien bureau de papa pour y

chercher tout ce que je pouvais lire sur les ombres. La définition

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de l’encyclopédie était un peu compliquée, mais grâce aux

illustrations j’ai pu apprendre pas mal de trucs sur la façon de

les faire apparaître, de les déplacer ou de les orienter. Mon

stratagème devait fonctionner dès que la lune serait dans l’axe.

Je guettais ce moment avec impatience, en espérant qu’elle

serait en bonne place avant la fin du feuilleton de maman.

Enfin, ce que j’attendais s’est produit. Droit devant moi,

j’ai vu l’ombre s’étirer sur les lattes du grenier. J’ai toussoté un

peu, pris mon courage à deux mains et j’ai affirmé d’une voix

franche ce dont j’étais désormais certain.

― Tu n’es pas mon ombre!

Je ne suis pas fou et j’avoue avoir eu sacrément peur quand

j’ai entendu l’ombre me répondre dans un murmure.

― Je sais.

Silence de mort. Alors j’ai poursuivi, la bouche sèche et la

gorge serrée.

― Tu es l’ombre de Marquès, c’est ça?

― Oui, a-t-elle soufflé à mes oreilles.

Quand l’ombre s’adresse à moi, c’est un peu comme

lorsqu’on a une musique dans la tête, il n’y a pas de musicien

mais on entend pourtant de façon aussi réelle que si un

orchestre imaginaire jouait tout près de soi. Ça fait le même

effet.

― Je t’en supplie, ne dis rien à personne, m’a dit l’ombre.

― Qu’est-ce que tu fais là? Pourquoi moi? ai-je demandé,

inquiet.

― Je me suis évadée, tu ne t’en es pas douté?

― Pourquoi tu t’es évadée?

― Tu sais ce que c’est que d’être l’ombre d’un imbécile?

C’est insupportable, je n’en peux plus. Déjà quand il était petit

c’était pénible, mais plus il grandit et moins je le supporte. Les

autres ombres, la tienne en particulier, se moquent de moi. Si tu

savais la chance qu’a ton ombre, et si tu savais aussi ce qu’elle

est arrogante avec moi. Tout ça parce que tu es différent.

― Je suis différent?

― Oublie ce que je viens de dire. Les autres ombres

affirment qu’on n’a pas le choix, on est l’ombre d’une seule

personne, et pour toujours. Il faudrait que cette personne

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change pour que votre sort s’améliore. Avec Marquès, autant te

dire que le futur qui m’attend n’est pas des plus glorieux. Tu

imagines ma surprise quand j’ai senti que je pouvais me

détacher de lui, au moment où tu t’es retrouvé à ses côtés? Tu

as un pouvoir extraordinaire, alors je n’ai pas réfléchi, c’était le

moment ou jamais de me faire la belle. J’ai un peu profité de ma

taille, à force d’être l’ombre de Marquès, j’ai des excuses. J’ai

poussé la tienne pour prendre sa place.

― Et mon ombre, t’en as fait quoi?

― À ton avis? Il fallait bien qu’elle se raccroche à quelque

chose, elle est repartie avec mon ancien propriétaire. Elle doit

faire une sale tête en ce moment.

― C’est dégueulasse, ce que tu as fait à mon ombre. Dès

demain, je te rends à Marquès et je la récupère.

― Je t’en prie, laisse-moi rester avec toi. Je voudrais savoir

ce que ça fait d’être l’ombre de quelqu’un de bien.

― Je suis quelqu’un de bien?

― Tu peux le devenir.

― Non, c’est impossible que je te garde, les gens vont finir

par se rendre compte que quelque chose ne va pas.

― Les gens ne font déjà pas attention aux autres, alors à

leurs ombres... Et puis, c’est dans ma nature de rester dans

l’ombre. Avec un peu d’entraînement et de complicité nous

finirons bien par y arriver.

― Mais tu mesures au moins trois fois ma taille.

― Ce ne sera pas toujours le cas, ce n’est qu’une question

de temps. Disons que jusqu’à ce que tu grandisses, tu devras toi

aussi rester un peu dans l’ombre, mais dès que tu auras poussé,

c’est moi qui t’entraînerai vers la lumière. Réfléchis, c’est un

sacré avantage d’avoir l’ombre d’un grand. Sans moi, tu ne te

serais jamais présenté à l’élection du délégué de classe. Qui t’a

donné confiance en toi, à ton avis?

― C’est toi qui m’as poussé?

― Qui d’autre? confia l’ombre.

Soudain, j’entendis la voix de ma mère me demander, du

bas de l’échelle qui grimpe au grenier, avec qui je pouvais bien

discuter. Je lui ai répondu sans réfléchir que je parlais avec mon

ombre. Évidemment, elle a répliqué que je ferais mieux d’aller

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me coucher, au lieu de dire des âneries. Les adultes ne vous

croient jamais quand vous leur confiez des choses sérieuses.

L’ombre a haussé les épaules, j’ai eu l’impression qu’elle

me comprenait. Je me suis éloigné de la lucarne et elle a

disparu.

*

**

J’ai fait un rêve vraiment étrange cette nuit-là. Je partais à

la chasse avec mon père, et même si je n’aime pas la chasse,

j’étais heureux de le retrouver. Je le suivais, mais il ne se

retournait jamais et je ne pouvais pas voir son visage. L’idée de

tuer des animaux ne me procurait aucun plaisir. Il m’envoyait

en éclaireur à travers des champs immenses où s’élevaient de

hautes herbes roussies par le soleil, que le vent faisait onduler

doucement. Je devais progresser en tapant dans mes mains

pour que les tourterelles s’envolent, alors il leur tirait dessus.

Pour empêcher ce massacre, j’avançais le plus lentement

possible. Quand je laissais filer un lapin entre mes jambes, mon

père me traitait de bon à rien juste capable de lever le mauvais

gibier. C’est cette phrase qui m’a fait comprendre, dans mon

rêve, que cet homme au loin n’était pas mon père, mais celui de

Marquès. Je me trouvais à la place de mon ennemi, et ce n’était

pas une sensation agréable du tout.

Bien sûr, j’étais plus grand et je me sentais plus fort que

d’habitude, mais je ressentais une profonde tristesse, comme si

un chagrin m’avait envahi.

Après la chasse, nous sommes rentrés dans une maison qui

n’était pas la mienne. Je me suis retrouvé assis à la table du

dîner, le père de Marquès lisait son journal, sa mère regardait la

télévision, personne ne s’adressait la parole. Chez nous on

parlait beaucoup à table; quand papa était là, il me demandait

comment s’était passée ma journée, et depuis son départ,

maman m’interrogeait à sa place. Mais les parents de Marquès

se moquaient bien de savoir s’il avait fait ses devoirs. J’aurais pu

trouver ça épatant, en fait c’était tout le contraire, et j’ai compris

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d’où venait cette peine soudaine; même si Marquès était mon

ennemi, j’étais triste pour lui, triste de l’indifférence qui régnait

dans sa maison.

*

**

Quand le réveil a sonné, j’étais en nage. J’avais le souffle

court et je me sentais aussi brûlant que par un jour de fièvre,

mais soulagé que tout ça n’ait été qu’un cauchemar. Un grand

frisson m’a parcouru et tout est redevenu normal. Ce matin-là,

retrouver les murs de ma chambre a suffi à me rendre heureux.

En faisant ma toilette, je me suis demandé si je devais raconter

à ma mère ce qui m’arrivait. J’aurais voulu partager ce secret

avec elle mais je devinais déjà sa réaction.

La première chose que j’ai faite en descendant dans la





Äàòà ïóáëèêîâàíèÿ: 2014-11-19; Ïðî÷èòàíî: 191 | Íàðóøåíèå àâòîðñêîãî ïðàâà ñòðàíèöû | Ìû ïîìîæåì â íàïèñàíèè âàøåé ðàáîòû!



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