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Ãëàâíàÿ Ñëó÷àéíàÿ ñòðàíèöà Êîíòàêòû | Ìû ïîìîæåì â íàïèñàíèè âàøåé ðàáîòû! | |
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électorale.
J’avançai vers le groupe. Marquès avait dû sentir ma
présence car il s’était retourné et me lançait un mauvais regard.
― Qu’est-ce que tu veux?
Les autres guettaient ma réponse.
― Te remercier pour hier, dis-je en balbutiant.
― Eh bien c’est fait, maintenant tu peux aller jouer aux
billes, m’a-t-il répondu tandis que les copains ricanaient.
Je ressentis alors une force dans mon dos, une force qui
me poussait à faire trois pas vers lui au lieu de me retirer
comme il me l’avait ordonné.
― Quoi encore? demanda-t-il en haussant le ton.
Je jure que ce qui s’est passé ensuite n’était pas prévu, que
je n’avais pas prémédité une seconde ce que j’allais pourtant
dire d’une voix assurée qui me surprit moi-même.
― J’ai décidé de me présenter à l’élection du délégué de
classe, je préférais que les choses soient claires entre nous!
La force me poussait maintenant en sens inverse, cette fois
en direction du préau vers lequel j’avançais, comme un soldat
droit dans ses bottes.
Pas un bruit derrière moi. Je m’attendais à entendre des
ricanements, seule la voix de Marquès brisa le silence.
― Alors, c’est la guerre, dit-il. Tu vas le regretter.
Je ne me retournai pas.
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Élisabeth, qui ne s’était pas mêlée au groupe, croisa mon
chemin et me chuchota que Marquès lui tapait sur les nerfs,
puis elle s’éloigna en faisant comme si de rien n’était. J’estimai
que ma durée de vie n’irait pas au-delà de la prochaine
récréation.
Et à la récréation, le soleil pointait au-dessus de la cour. Je
regardais les élèves qui commençaient une partie de basket,
quand j’ai vu s’allonger devant mes pieds ce que je redoutais
tant. Non seulement mon ombre était trop grande pour être la
mienne, mais je ne me sentais plus tout à fait le même. Combien
de temps avant que quelqu’un s’en aperçoive et révèle ce secret
qui me terrorisait? Par mesure de précaution, j’ai regagné le
préau. Luc, le fils du boulanger, qui s’était cassé la jambe
pendant les vacances et portait encore une attelle, m’a fait signe
de venir le rejoindre. Je me suis assis près de lui.
― Je t’avais sous-estimé. C’est drôlement gonflé ce que tu
viens de faire.
― C’est plutôt suicidaire, répondis-je, et puis je n’ai aucune
chance.
― Si tu veux gagner, tu dois changer d’état d’esprit. Rien
n’est jamais perdu d’avance, il faut avoir la volonté d’un
vainqueur pour avoir ses chances, c’est mon père qui dit ça. Et
puis je ne suis pas d’accord avec toi. Je suis sûr que, sous leurs
airs de bons camarades, il y en a plus d’un qui ne le supportent
pas.
― Qui ça?
― Ton rival, de qui veux-tu que je parle? En tout cas, tu
peux compter sur moi, je suis de ton côté.
Cette petite conversation de rien du tout était la plus belle
chose qui me soit arrivée depuis la rentrée. Ce n’était encore
qu’une promesse, mais la seule idée d’avoir enfin un copain de
mon âge suffisait à me faire oublier tout le reste, mon
affrontement avec Marquès, mon problème d’ombre et, pendant
quelques instants, j’en oubliai même que papa ne serait plus à la
maison pour que je lui raconte tout ça.
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Le mercredi, c’était la quille à 15 h 30. Après avoir inscrit
mon nom sur la liste des candidatures punaisée sur le tableau
en liège du secrétariat de l’école – j’avais remarqué à ce sujet
que mon nom était le seul à figurer sous celui de Marquès –, je
repris le chemin de la maison, en proposant à Luc de le
raccompagner chez lui puisque nous habitions dans le même
quartier.
Nous marchions l’un à côté de l’autre sur le trottoir et je
redoutais qu’il se rende compte que quelque chose clochait avec
nos ombres, la mienne s’étirait bien plus loin que la sienne alors
que nous mesurions presque la même taille. Mais il ne prêtait
aucune attention à nos pas, peut-être à cause de son attelle qui
lui fichait un complexe. Les élèves l’appelaient Capitaine
Crochet depuis le jour de la rentrée.
En passant à la hauteur de la pâtisserie, il me demanda si
un pain au chocolat me tenterait. Je n’avais pas assez d’argent
de poche pour m’en offrir un, mais ce n’était pas grave, j’avais
dans mon cartable un sandwich au Nutella préparé par maman,
ce serait tout aussi bon et on pouvait se le partager. Luc éclata
de rire et me dit que sa mère n’avait pas l’habitude de lui faire
payer ses goûters. Puis il me montra fièrement la devanture de
la boulangerie. Sur la vitrine, en lettres délicatement peintes à la
main, on pouvait lire «Boulangerie Shakespeare».
Et devant mon air ahuri, il me rappela que son père était
boulanger et que ça tombait bien parce que la «Boulangerie
Shakespeare», c’était justement celle de ses parents.
― Tu t’appelles vraiment Shakespeare?
― Oui, vraiment, mais aucun lien de parenté avec le père
d’Hamlet, c’est juste un synonyme.
― Homonyme! repris-je.
― Si tu veux. Bon, on le mange ce pain au chocolat?
Luc poussa la porte du magasin. Sa maman était ronde
comme une brioche, et souriante. Elle nous accueillit avec un
accent qui n’était pas du coin. La maman de Luc avait une voix
chantante, une voix à vous mettre tout de suite de bonne
humeur, une façon de parler qui vous faisait vous sentir le
bienvenu.
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Elle nous proposa un pain au chocolat ou un éclair au café
et, avant que nous ayons eu le temps de choisir, elle décida de
nous offrir les deux. J’étais gêné, mais Luc me dit que son père
en fabriquait toujours trop et que de toute façon, ce qui ne serait
pas vendu en fin de journée serait bon pour la poubelle, alors
autant ne pas gâcher. Nous avons dévoré notre pain au chocolat
et notre éclair au café sans nous faire prier.
La maman de Luc lui demanda de garder le magasin, le
temps qu’elle aille chercher la nouvelle fournée de pains dans
l’atelier.
Ça me faisait un drôle d’effet de voir mon copain assis sur
le tabouret derrière la caisse. Soudain, je nous imaginais avec
vingt ans de plus, en habits d’adultes, lui dans la peau du
boulanger et moi dans celle d’un client de passage...
Maman me dit souvent que j’ai l’imagination galopante.
J’ai fermé les yeux et, étrangement, je me suis vu entrer dans
cette boulangerie, j’avais une petite barbe et je tenais une
sacoche à la main, peut-être que quand je serai grand, je serai
médecin ou comptable; les comptables aussi portent des
sacoches. J’avance vers le présentoir et commande un éclair au
café quand soudain, je reconnais mon vieux copain d’école. Je
ne l’ai pas revu depuis toutes ces années, on tombe dans les bras
l’un de l’autre et on partage un éclair au café et un pain au
chocolat en souvenir du bon temps.
Je crois que c’est dans cette boulangerie, en regardant mon
copain Luc jouer au caissier, que j’ai pris conscience, pour la
première fois, que j’allais vieillir. Je ne sais pas pourquoi, mais
pour la première fois aussi, je n’ai plus eu envie de quitter mon
enfance, plus du tout eu envie d’abandonner ce corps que je
trouvais jusque-là trop petit. Je me sentais vraiment bizarre
depuis que j’avais piqué l’ombre de Marquès, il devait y avoir
des effets secondaires à cet étrange phénomène et cette idée
n’était pas faite pour me rassurer.
Quand la mère de Luc remonta du fournil avec une grille
de petits pains chauds qui sentaient drôlement bon, Luc lui dit
qu’il n’y avait eu aucun client. Elle soupira en haussant les
épaules, arrangea les petits pains sur l’étagère de la vitrine et
nous demanda si nous n’avions pas des devoirs. J’avais promis à
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maman de finir les miens avant son retour, je remerciai encore
Luc et sa mère et je repris le chemin de la maison.
Au carrefour, j’ai déposé mon sandwich au Nutella sur un
muret, pour le goûter des oiseaux; je n’avais plus faim et je ne
voulais surtout pas vexer ma mère en lui laissant croire que ses
goûters étaient moins bons que les gâteaux de Mme Shakespeare.
Devant moi, l’ombre s’était encore allongée. Je rasais les
murs, de peur de croiser un autre copain.
Arrivé à la maison, j’ai foncé dans le jardin pour étudier le
phénomène de plus près. Papa dit que pour grandir il faut
apprendre à affronter ses peurs, les confronter à la réalité. C’est
ce que j’ai tenté de faire.
Certains passent des heures devant le miroir en espérant y
voir un autre reflet que le leur, moi j’ai joué toute la fin d’après-
midi avec ma nouvelle ombre et, à ma grande surprise, j’ai
ressenti comme une renaissance. Pour la première fois, même si
ce n’était qu’en négatif imprimé sur le sol, j’avais l’impression
d’être un autre. Quand le soleil est passé derrière la colline, je
me suis senti un peu seul et presque triste.
Après un dîner vite expédié, mes devoirs étaient faits et
maman regardait son feuilleton préféré – elle avait décrété que
la vaisselle attendrait –, j’ai pu m’échapper au grenier sans
même qu’elle s’en rende compte. J’avais une idée en tête. Là-
haut, dans les soupentes, il y avait une grande lucarne, ronde
comme la pleine lune, et la lune était parfaitement pleine ce
soir-là. Il fallait à tout prix que j’éclaircisse ce qui m’arrivait. Ce
n’était pas anodin de marcher sur l’ombre de quelqu’un et de
repartir avec. Puisque maman me disait que j’avais trop
d’imagination, j’ai décidé d’aller vérifier ça au calme et le seul
endroit où je suis vraiment au calme, c’est dans le grenier.
Là-haut, c’était mon monde à moi. Mon père n’y allait
jamais, c’était trop bas de plafond, il se cognait toujours la tête
et ça lui faisait dire des mots terribles, du genre «putain»,
«bordel» et «merde». Parfois les trois en une seule phrase.
Moi, si j’en avais dit un seul, j’en aurais pris pour mon grade,
mais les adultes ont droit à des tas de trucs qui nous sont
interdits. Bref, dès que j’ai été en âge de grimper au grenier,
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mon père m’a envoyé à sa place et j’étais ravi de lui rendre ce
service. Pour être tout à fait honnête, au début le grenier me
faisait un peu peur, à cause de la pénombre, mais plus tard, ça a
été tout le contraire. J’adorais me faufiler au milieu des malles
et des vieilles boîtes en carton.
Dans l’une d’elles, j’avais découvert une collection de
photos de maman quand elle était très jeune. Maman est
toujours belle mais là, elle était carrément jolie. Et puis, il y
avait la boîte qui contenait les photos du mariage de mes
parents. C’est fou comme ils avaient l’air de s’aimer ce jour-là.
En les regardant, je me suis demandé ce qui s’était passé:
comment tout cet amour avait pu disparaître? Et surtout, où
était-il parti? L’amour, c’est peut-être comme une ombre,
quelqu’un le piétine et part avec. Peut-être que trop de lumière,
c’est dangereux pour l’amour, ou alors c’est le contraire, sans
lumière, l’ombre d’un amour s’efface et finit par s’en aller. J’ai
piqué une photo dans l’album rangé au grenier: papa tient la
main de maman sur le perron de la mairie. Maman a le ventre
un peu rond, du coup, je suis un peu là moi aussi. Autour de
mes parents, il y a des oncles et des tantes, des cousins et
cousines que je ne connais pas et tout ce monde a l’air de
s’amuser. Peut-être que je me marierai un jour moi aussi, avec
Élisabeth si elle est d’accord, si je prends quelques centimètres,
disons une bonne trentaine.
Dans le grenier il y avait aussi des jouets cassés, tous ceux
que je n’avais pas été capable de remonter après avoir étudié de
près comment ils avaient été fabriqués. Bref, au milieu du bric-
à-brac de mes parents, je me sentais dans un autre univers, un
univers à ma taille. Mon monde à moi se trouvait dans ma
maison, mais sous les toits.
Me voilà face à la lucarne, je me tiens bien droit pour
regarder la lune se lever, elle est pleine et sa lumière se pose sur
les planches en bois du grenier. On voit même flotter des
particules de poussière en suspension dans l’air, ça donne un
côté paisible au lieu, c’est si calme ici. Ce soir, avant le retour de
maman, je suis allé dans l’ancien bureau de papa pour y
chercher tout ce que je pouvais lire sur les ombres. La définition
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de l’encyclopédie était un peu compliquée, mais grâce aux
illustrations j’ai pu apprendre pas mal de trucs sur la façon de
les faire apparaître, de les déplacer ou de les orienter. Mon
stratagème devait fonctionner dès que la lune serait dans l’axe.
Je guettais ce moment avec impatience, en espérant qu’elle
serait en bonne place avant la fin du feuilleton de maman.
Enfin, ce que j’attendais s’est produit. Droit devant moi,
j’ai vu l’ombre s’étirer sur les lattes du grenier. J’ai toussoté un
peu, pris mon courage à deux mains et j’ai affirmé d’une voix
franche ce dont j’étais désormais certain.
― Tu n’es pas mon ombre!
Je ne suis pas fou et j’avoue avoir eu sacrément peur quand
j’ai entendu l’ombre me répondre dans un murmure.
― Je sais.
Silence de mort. Alors j’ai poursuivi, la bouche sèche et la
gorge serrée.
― Tu es l’ombre de Marquès, c’est ça?
― Oui, a-t-elle soufflé à mes oreilles.
Quand l’ombre s’adresse à moi, c’est un peu comme
lorsqu’on a une musique dans la tête, il n’y a pas de musicien
mais on entend pourtant de façon aussi réelle que si un
orchestre imaginaire jouait tout près de soi. Ça fait le même
effet.
― Je t’en supplie, ne dis rien à personne, m’a dit l’ombre.
― Qu’est-ce que tu fais là? Pourquoi moi? ai-je demandé,
inquiet.
― Je me suis évadée, tu ne t’en es pas douté?
― Pourquoi tu t’es évadée?
― Tu sais ce que c’est que d’être l’ombre d’un imbécile?
C’est insupportable, je n’en peux plus. Déjà quand il était petit
c’était pénible, mais plus il grandit et moins je le supporte. Les
autres ombres, la tienne en particulier, se moquent de moi. Si tu
savais la chance qu’a ton ombre, et si tu savais aussi ce qu’elle
est arrogante avec moi. Tout ça parce que tu es différent.
― Je suis différent?
― Oublie ce que je viens de dire. Les autres ombres
affirment qu’on n’a pas le choix, on est l’ombre d’une seule
personne, et pour toujours. Il faudrait que cette personne
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change pour que votre sort s’améliore. Avec Marquès, autant te
dire que le futur qui m’attend n’est pas des plus glorieux. Tu
imagines ma surprise quand j’ai senti que je pouvais me
détacher de lui, au moment où tu t’es retrouvé à ses côtés? Tu
as un pouvoir extraordinaire, alors je n’ai pas réfléchi, c’était le
moment ou jamais de me faire la belle. J’ai un peu profité de ma
taille, à force d’être l’ombre de Marquès, j’ai des excuses. J’ai
poussé la tienne pour prendre sa place.
― Et mon ombre, t’en as fait quoi?
― À ton avis? Il fallait bien qu’elle se raccroche à quelque
chose, elle est repartie avec mon ancien propriétaire. Elle doit
faire une sale tête en ce moment.
― C’est dégueulasse, ce que tu as fait à mon ombre. Dès
demain, je te rends à Marquès et je la récupère.
― Je t’en prie, laisse-moi rester avec toi. Je voudrais savoir
ce que ça fait d’être l’ombre de quelqu’un de bien.
― Je suis quelqu’un de bien?
― Tu peux le devenir.
― Non, c’est impossible que je te garde, les gens vont finir
par se rendre compte que quelque chose ne va pas.
― Les gens ne font déjà pas attention aux autres, alors à
leurs ombres... Et puis, c’est dans ma nature de rester dans
l’ombre. Avec un peu d’entraînement et de complicité nous
finirons bien par y arriver.
― Mais tu mesures au moins trois fois ma taille.
― Ce ne sera pas toujours le cas, ce n’est qu’une question
de temps. Disons que jusqu’à ce que tu grandisses, tu devras toi
aussi rester un peu dans l’ombre, mais dès que tu auras poussé,
c’est moi qui t’entraînerai vers la lumière. Réfléchis, c’est un
sacré avantage d’avoir l’ombre d’un grand. Sans moi, tu ne te
serais jamais présenté à l’élection du délégué de classe. Qui t’a
donné confiance en toi, à ton avis?
― C’est toi qui m’as poussé?
― Qui d’autre? confia l’ombre.
Soudain, j’entendis la voix de ma mère me demander, du
bas de l’échelle qui grimpe au grenier, avec qui je pouvais bien
discuter. Je lui ai répondu sans réfléchir que je parlais avec mon
ombre. Évidemment, elle a répliqué que je ferais mieux d’aller
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me coucher, au lieu de dire des âneries. Les adultes ne vous
croient jamais quand vous leur confiez des choses sérieuses.
L’ombre a haussé les épaules, j’ai eu l’impression qu’elle
me comprenait. Je me suis éloigné de la lucarne et elle a
disparu.
*
**
J’ai fait un rêve vraiment étrange cette nuit-là. Je partais à
la chasse avec mon père, et même si je n’aime pas la chasse,
j’étais heureux de le retrouver. Je le suivais, mais il ne se
retournait jamais et je ne pouvais pas voir son visage. L’idée de
tuer des animaux ne me procurait aucun plaisir. Il m’envoyait
en éclaireur à travers des champs immenses où s’élevaient de
hautes herbes roussies par le soleil, que le vent faisait onduler
doucement. Je devais progresser en tapant dans mes mains
pour que les tourterelles s’envolent, alors il leur tirait dessus.
Pour empêcher ce massacre, j’avançais le plus lentement
possible. Quand je laissais filer un lapin entre mes jambes, mon
père me traitait de bon à rien juste capable de lever le mauvais
gibier. C’est cette phrase qui m’a fait comprendre, dans mon
rêve, que cet homme au loin n’était pas mon père, mais celui de
Marquès. Je me trouvais à la place de mon ennemi, et ce n’était
pas une sensation agréable du tout.
Bien sûr, j’étais plus grand et je me sentais plus fort que
d’habitude, mais je ressentais une profonde tristesse, comme si
un chagrin m’avait envahi.
Après la chasse, nous sommes rentrés dans une maison qui
n’était pas la mienne. Je me suis retrouvé assis à la table du
dîner, le père de Marquès lisait son journal, sa mère regardait la
télévision, personne ne s’adressait la parole. Chez nous on
parlait beaucoup à table; quand papa était là, il me demandait
comment s’était passée ma journée, et depuis son départ,
maman m’interrogeait à sa place. Mais les parents de Marquès
se moquaient bien de savoir s’il avait fait ses devoirs. J’aurais pu
trouver ça épatant, en fait c’était tout le contraire, et j’ai compris
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d’où venait cette peine soudaine; même si Marquès était mon
ennemi, j’étais triste pour lui, triste de l’indifférence qui régnait
dans sa maison.
*
**
Quand le réveil a sonné, j’étais en nage. J’avais le souffle
court et je me sentais aussi brûlant que par un jour de fièvre,
mais soulagé que tout ça n’ait été qu’un cauchemar. Un grand
frisson m’a parcouru et tout est redevenu normal. Ce matin-là,
retrouver les murs de ma chambre a suffi à me rendre heureux.
En faisant ma toilette, je me suis demandé si je devais raconter
à ma mère ce qui m’arrivait. J’aurais voulu partager ce secret
avec elle mais je devinais déjà sa réaction.
La première chose que j’ai faite en descendant dans la
Äàòà ïóáëèêîâàíèÿ: 2014-11-19; Ïðî÷èòàíî: 191 | Íàðóøåíèå àâòîðñêîãî ïðàâà ñòðàíèöû | Ìû ïîìîæåì â íàïèñàíèè âàøåé ðàáîòû!